1776-06-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, ce n'est pas de mon joli théâtre, ce n'est pas de le Kain que je veux parler, c'est d'un cocher.
Hélas ce n'est pas d'un cocher pour me mener à Paris à l'ombre de vos ailes, c'est d'un cocher nommé Gilbert dont vous ne vous doutez pas. Ce Gilbert est le même qui déposa contre mr de Morangé et qui le fit condamner par le nommé Pigeon et consorts à payer cent mille écus, à garder prison et a être admonèté, etc. etc. La cabale avocassière, convulsionaire, usurière prônait dans tout Paris ce Gilbert comme un Caton. C'était le cocher qui conduisait le monde dans le chemin de la vertu. Ce Caton dieu merci vient d'être pris volant dans la poche, et fesant de faux billets. Il est dans les prisons du Châtelet. Je vous demande en grâce de vous en informer. Il est bien doux et bien utile de connaître à fond les gens qui ont séduit la canaille, comme les faux messies et monsieur Gilbert. Cela est important. Envoiez un valet de chambre demander des nouvelles de ce brave Gilbert.

Ne serez vous pas charmé de voir tous ces impudents braillards du barreau humiliez? N'est ce pas une grande consolation de confondre ceux qui avaient vu Dujonquai porter à pied cent mille écus et faire vingtsix voiages, l'espace de six lieues, en trois heures? N'est il pas plaisant de confondre un peu ces témoins de miracles! et de pouvoir faire rougir tout Paris is on ne peut le corriger! Ayez pitié de ma curiosité. C'est une grande passion.

On disait hier que mademoiselle Rocou était à Geneve, mais je n'en crois rien. On prétend qu'elle va en Russie, et que depuis longtemps elle avait fait son marché.

Je vous conjure d'être aussi curieux que moi sur le cocher Gilbert . . . .

V.