à Ferney 24e juin 1776
Eh bien, madame, tandis que vous nous abandonéz voilà St Geran qui nous donne dans Ferney le bal et la comédie.
Il a fait bâtir une salle de Spectacles très ornée, très bien entendue et très commode. Deux choses me privent de ces plaisirs, ma déplorable vieillesse, et votre absense. Je me console un peu en vous écrivant de cette main qui est bien faible et qui fait un effort en étant conduitte par mon cœur. J'ay une grâce à vous demander et voicy ce que c'est.
Vous vous souvenez du procès de M. de Morangé. Il y avait dans cette affaire un cocher fort célèbre nommé Gilbert qui déposa effrontément contre le comte de Morangé et qui le fit condamner au bailliage du palais par un polisson nommé Pigeon, et par quelques gens de cette espèce. La cabale mettait le cocher Gilbert au rang des grands hommes qui se sont immortalizés par la seule vertu.
On me mande aujourdui que ce Caton Gilbert a été pris volant dans la poche, qu'il est convaincu d'être plus faussaire que made de St Vincent n'est accusée de l'être, qu'il est dans les cachots du Châtelet et qu'il va être pendu. Comme je me suis un peu mélé de l'affaire de M. de Morangé, je m'intéresse à celle du cocher Gilbert, et je vous supplie instamment madame de me mander ce que vous en aurez pu apprendre. Il est très utile de connaître les gens qui se sont fait un grand parti dans la canaille. Je ne vous parle point de la cour et du ministère. Je ne sçai si mr Turgot est à la campagne chez madame la duchesse Danville. J'attendrai tristement mais patiemment ce qu'on décidera de Ferney. Vous serez toujours la divinité de nos cantons, soit qu'on nous favorise soit qu'on nous opprime. Nos dragons rouges, nos dragons verds, notre artillerie et nos cœurs seront toujours à vos pieds.
V.