A Paris ce 2 juillet 1776
C'est donc, mon cher ami, du cocher Gilber dont il faut vous parler.
J'ai employé les émissaires les mieux instruits pour découvrir la vérité de ce qui regarde cet honnête homme. Il est, pour me servir des termes du palais, véhément soupçonné mais non convaincu de vol et de faux. Le vol consiste en une somme de 10 ou 12 mille franc qu'il a jugé à propos de s'aproprier. Le faux est un billet de loterie de 5000lt qu'il a fabriqué. Mais encor un coup il n'y a point de conviction. C'est seulement un soupçon assés fondé pour qu'il ait été décrété et mis en prison au Chatelet où on lui fait son procès. S'il avoit affaire à des juges attentifs et zélés ils tâcheroient de tirer de lui quelques lumières sur sa déposition lors du procès de mr de Morangies mais je doute qu'ils aiment assés la justice pour revenir sur cet objet. Quoiqu'il en soit je vous rendrai compte de ce qui se passera et du jugement qui pourra bien être un plus amplement informé faute de preuves suffisantes. Notre affaire du congé de le Kain ne va pas bien. Mr de Duras (en protestant du désir qu'il auroit de vous obliger) s'y oppose très fortement. Il est vray que la circonstance n'est pas favorable pour ce que nous demandons. La petite st Val rentrée à la comédie a choisi plusieurs pièces propres à faire connoitre ses progrès et où il n'est pas possible de se passer de le Kain. De plus mr de Duras lui a confié l'éducation d'une jeune actrice qui donne les plus grandes espérances. Elle ne s'est pas encor montrée au public, mais je l'ai entendu et elle m'a paru avoir beaucoup d'âme et d'intelligence. C'est surtout dans vos pièces qu'on l'exerce. Elle a une vocation décidée pour les jouer. Il est difficile de ne pas se rendre aux motifs et refus qu'alègue mr de Duras, il faudroit dumoins qu'on remit Olimpie. Vous pourriés lui en écrire mais sans insinuer que vous désireriés la cadete st Val pour le rosle d'Olimpie. Cet article réussiroit mal, l'anciene prédilection pour melle Vestris dure encor.
Adieu mon très cher ami, vous sçavés combien je vous aime. Mille choses à la nièce et au neveu. J'espère toujours que le dernier m'apportera ce que vous m'avés promis et que je n'ai pas.