A Paris ce 24 juillet 1776
Vous avés àprésent mon cher ami, deux personnes que je vous félicite d'avoir, l'une pour l'agrément de votre société et l'autre pour votre théâtre.
Il lui donnera, dès sa naissance, un grand lustre par la supériorité de ses talents. Ou je suis bien trompé ou vous trouverés qu'il a beaucoup acquis surtout dans vos tragédies. La reine ne l'a cédé qu'avec peine et uniquement par considération pour vous. Elle aime infiniment le spectacle, elle préfère vos ouvrages à tous les autres et elle trouve que nous n'avons qu'un seul véritable comédien. Si elle retenoit vos vers autant qu'elle en sent la beauté elle auroit pu vous dire,
Avant de quitter cet article je suis obligé de vous dire qu'il n'a pas tenu à le Kain qu'on remit Olimpie. Il l'avoit demandé. On en étoit convenu mais bien des incidents en ont empêché ou dumoins retardè la représentation. Au reste (s'il étoit vray qu'il voulût toujours écraser) le rosle qu'il joue dans Olimpie produiroit cet effet puis qu'il est plein de chaleur et de passion. Il vous remettra une petite lettre qui contient une partie de mes instructions mais il ne pourra jamais vous parler assés de mes sentimens. Je viens àprésent à Shakespear. Me seroit t'il échapé de vous avoir rendu compte de l'impression qu'il me fait? En tout cas je ne crains point de le répéter: j'avois eu le malheur de souscrire, à la lecture des deux premiers volumes une indignation semblable à la vôtre s'est emparé de moi, l'insolence de la préface m'a révolté à un point inexprimable et je l'ai été encor davantage lors que j'ai trouvé au bout de cette insolence des pièces qu'on ose donner comme des chefs d'oeuvre et qui ne seroient pas dignes d'être jouées sur des trétaux. C'est à vous, mon cher ami, qu'il appartiendroit de confondre cet impertinent donneur d'éloges et faire connoitre une fois pour tout la turpitude des objets de ses louanges. L'Otello tant vanté et qu'on avoit osé comparer à Zaire est le tombeau du sens commun. Je n'ai vu nulle part un délire aussi dégoûtant que la Tempête. Jules Cesar a quelques beautés, mais c'est un fatras historique et nullement une tragédie. La douceur que vous me reprochés me quitte entièrement lors que j'entends louer des absurdités et dénigrer des chefs d'oeuvre. Enfin je me suis défait de mes deux volumes et de ma souscription. Est tu content Couci?
Quand à mr de Thibouville j'ignore s'il connaît l'ouvrage et s'il a eû la duperie de souscrire mais j'ai assés bonne opinion de lui pour croire qu'il penseroit comme nous. Il y a quelque tems que je n'ai vu le mareschal de Richelieu. Son résumé n'a pas encor paru. Vous avés raison de penser qu'il ne faut jamais ennuier mais vous en parlés bien à votre aise. Je ne connois qu'une seule personne qui ait le don de répandre des grâces sur les matières qui en sont le moins susceptibles. Le mareschal a gagné plusieurs incidents. Il faudra qu'il ait mille fois raisons pour triompher. Au fond la mauvaise volonté et la provocation sont excessives. Ah quel parlement! quels juges! Il est possible que Gilber, quoique coupable, se tire d'affaire.
Adieu mon très cher ami, vous sçavés combien je vous aime. Mille choses à tout ce qui habite Ferney, cela comprend les anciens et les nouveaux venus.