1770-01-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

L'oncle et la nièce, mon cher ami, sont aussi sensibles à vôtre souvenir qu'ils doivent l'être.
Nous savons à peu près ce que c'est que La petite drôlerie, dont vous nous parlez. C'est une ancienne pièce qui n'est point du tout dans le goût d'à présent. Elle fut faitte par l'abbé de Chateauneuf quelque tems après la mort de Mlle Ninon L'Enclos. Je crois même qu'elle ne pourait réussir qu'autant qu'on saurait qu'elle est du vieux tems. Ce serait aujourd'hui une trop grande impertinence d'entreprendre de faire rire le public, qui ne veut, diton, que des comédies larmoiantes.

Je crois qu'il n'y a dans Paris que Mr D'Argental qui ait une bonne copie du dépositaire. Je sais de gens très instruits, que celle qu'on a lue à l'assemblée est nonseulement très fautive, mais qu'elle est pleine de petits compliments aux dévots que la police ne souffrirait pas. L'éxemplaire de Mr D'Argental est, dit-on, purgé de toutes ces horreurs. Aureste, si on la joue on poura très bien s'arranger en vôtre faveur avec Thiriot; mais il faut que le tout soit dans le plus profond secret à ce que disent les parents de l'abbé de Chateauneuf qui ont hérité de ses manuscrits.

Je ne sais encor ce qu'on fait des Guebres en province, encor moins ce qu'on en fera à Paris, et pour les Scythes je m'en raporte à vôtre zèle, à vôtre amitié et à vos admirables talents.