26e janv: 1770
Mon ancien et oublieux ami, je crois que vous vous êtes coupé la gorge et la bourse, en laissant répandre un faux bruit, que j'ai quelque part à cette pièce que vous m'avez envoiée, laquelle est, dites-vous, de l'abbé de Chateauneuf et de Raimond le grec.
Vous sentez bien, que si on se borne à s'ennuier aux ouvrages des morts, on se plait fort à sifler ceux qui sont attribués aux vivants; mais il y a remède à tout. Je sais que vous aviez une copie très informe de cette comédie. Je sais à n'en pouvoir douter qu'il y en a une beaucoup plus ample et plus correcte entre les mains de Mr D'Argental. C'est sur celle là qu'il faudrait vous régler. La copie que vous m'avez envoïée n'aurait certainement pas passé à la police. Plus le monde est devenu philosophe, plus cette police est délicate. Les mots de dévotion seraient d'autant plus mal reçu que la dévotion est plus méprisée; mais on m'assure que ce qui pourait trop allarmer est très sagement déguisé dans l'éxemplaire de Mr D'Argental. Informez vous en, faittes comme vous pourez.
Si vous voiez Mr Diderot faittes mes compliments à ce digne soutien de la philosophie, à cet immortel vainqueur du fanatisme.