1766-07-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je ne sais où vous êtes, Monseigneur; mais quelque part que vous soiez, vous êtes compatissant et généreux.
Vous serez touché de cette relation qu'on m'a envoiée. Je suis persuadé que si on avait été informé de l'origine de cette horrible avanture on aurait fait quelque grâce. Cet élu d'Abbeville vous paraîtra un grand réprouvé. Il est seul la cause du désespoir de cinq familles, et il est lui même au nombre de ceux qu'il a accablés par sa méchanceté. La peine de mort n'est point ordonnée par la Loi, et le degré du châtiment est entièrement abandonné à la prudence des juges. Il y a plusieurs années qu'une prophanation beaucoup plus sacrilège fut commise dans la ville de Dijon; les coupables furent condamnés à six mois de prison, et à quatre mille Livres envers les pauvres, paiables solidairement. Les meilleurs jurisconsultes prétendent que dans les délits qui ne trainent pas après eux des suittes dangereuses, et dont la punition est arbitraire, il faut toujours pancher vers la clémence plutôt que vers la cruauté. Il est triste de voir des éxemples d'inhumanité dans une nation qui recherche la réputation d'être douce et polie. Je sais bien qu'il n'y a point de remède aux choses faittes; mais j'ai cru que vous ne seriez pas fâché d'être instruit de ce qui a produit cette catastrophe épouvantable. Il est triste que l'amour en soit la cause. Il n'est pas accoutumé dans nôtre siècle à produire de telles horreurs. Il me semble que vous l'aviez rendu plus humain.

Continuez moi vos bontés, et pardonnez moi de ne vous pas écrire de ma main. Ma misérable santé est dans un tel état que je ne suis capable que de vous aimer et de vous respecter jusqu'au dernier moment de ma vie.