à Ferney 28e Mars 1775
Sire,
Toutes les fois que j'écris à vôtre Majesté sur des affaires un peu sérieuses, je tremble comme nos régiments à Rosbac.
Mais vôtre bonté et vôtre magnanimité me rassurent.
Je vous suplie de daigner lire, dans un moment de loisir, si vous en avez, le mémoire de D'Etallonde. Il est entièrement fondé sur les pièces originales qu'on nous cachait, et qui nous sont enfin parvenues. Vous verrez dans cette affaire pire que celle des Calas et des Sirven, à quel point les Welches sont quelquefois frivoles et atroces. Vous y verrez à la fois l'imbécillité du Pierrot de la foire, et la barbarie de la st Barthelemi. Ce n'est pas que la bonne compagnie de Paris ne soit infiniment estimable, mais souvent ceux qu'on appelle magistrats sont l'opposé de la bonne compagnie.
J'ose croire que la lecture de ce mémoire vous fera frémir d'horreur. Nous avons résolu d'envoier ce mémoire non seulement aux avocats de Paris, mais à tous les jurisconsultes de L'Europe. Nôtre dessein est de nous en tenir à leur décision. D'Etallonde aiant pris avec vôtre permission le tître de vôtre aide de camp et de vôtre ingénieur, ne doit ni demander grâce à un garde des sceaux, ni s'avilir jusqu'à se mettre en prison pour faire casser son arrêt.
Si vous daignez nous faire avoir seulement l'avis de vôtre chancelier, ou celui d'un de vos premiers juges, cette décision, joint à celles que nous espérons avoir à Naples, à Milan et à Londres, sera assez authentique pour ne faire retomber l'oprobre de l'horrible jugement contre D'Etallonde et le chevalier de La Barre, que sur les assassins qui les ont condamnés. Nous aurons l'Europe entière contre trois gredins d'Abbeville. C'est une nouvelle manière de demander justice, mais si vôtre Majesté l'aprouve je la crois très bonne et très éfficace. Elle poura mettre un frein à nos Welches cannibales, qui se font un jeu de la vie des hommes. Peut être n'y a t'il point actuellement dans l'Europe d'affaire plus digne de vôtre protection. C'est à Marc Aurèle de donner des leçons à des barbares.
Dès que nous aurons la décision des avocats de Paris, jointe au jugement des premiers jurisconsultes d'Allemagne et d'Italie, et peut être de Rome même je rendrai D'Etallonde à Vôtre Majesté; il est digne de la servir, et il n'attend que ce moment pour se remettre à un devoir qui lui est cher.
Pour moi j'attendrai la mort sans aucune peine si je peux réussir dans cette juste entreprise, et je mourrai heureux si Vôtre Majesté me conserve ses bontés.