aux eaux de Rolle en Suisse, par Geneve, 14 juillet 1766
Vous allez être bien étonné, vous allez frémir, mon cher frère, quand vous lirez la relation que je vous envoie.
Qui croirait que la condamnation de cinq jeunes gens de famille à la plus horrible mort, pût être le fruit de l'amour et de la jalousie d'un vieux scélérate d'élu d'Abbeville? La première idée qui vient est que cet élu est un grand réprouvé; mail il n'y a pas moyen de rire dans une circonstance si funeste. Ne saviez vous pas que plusieurs avocats ont donné une consultation qui démontre l'absurdité de cet affreux arrêté? ne l'aurai je point cette consultation? On dit que le premier président leur en a voulu faire des reproches, et qu'ils lui ont répondu avec la noblesse et la fermeté dignes de leur profession. C'est une chose abominable que la mort des hommes et que les plus terribles supplices dépendent de cinq radoteurs qui l'emportent par la majorité des voix sur les dix conseillers du parlement les plus éclairés et les plus équitables.
Je suis persuadé que si sa majesté eût été informée du fond de l'affaire, elle aurait donné grâce. Elle est juste et bienfaisante; mais la tête avait tourné aux deux malheureux et ils se sont perdus eux mêmes.
Je vous conjure, mon cher frère, d'envoyer à m. de Beaumont copie de la relation avec le petit billet que je lui écris.
Je vous embrasse avec autant de douleur que de tendresse.
Est ce qu'on a brûlé les délits et les peines?
Voici ce qu'on m'écrit sur Jean Jacques:
'J'ai vu les lettres de M. Hume. Il mande que Rousseau est le scélérat le plus atroce, le plus noir qui ait jamais déshonoré la nature humaine; qu'on lui avoit bien dit qu'il avoit tort de se charger de lui, mais qu'il avoit cédé aux instances de ses protecteurs; qu'il avoit mis le scorpion dans son sein, et qu'il en avoit été piqué; que le procès avec cet homme affreux alloit être imprimé en anglais; qu'il prioit qu'on le traduisît en français et qu'on vous en envoyât un exemplaire.'