1766-07-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je me jette à votre nez, à vos pieds, à vos ailes, mes divins anges.
Je vous demande en grâce de m'apprendre s'il n'y a rien de nouveau. Je vous supplie de me faire avoir la consultation des avocats; c'est un monument de générosité, de fermeté et de sagesse dont j'ai d'ailleurs un très grand besoin. Si vous n'en avez qu'un exemplaire et que vous ne vouliez pas le perdre je le ferai transcrire, et je vous le renverrai aussitôt.

L'atrocité de cette aventure me saisit d'horreur et de colère. Je me repens bien de m'être ruiné à bâtir et à faire du bien dans la lisière d'un pays où l'on commet de sang-froid et en allant dîner des barbaries qui feraient frémir des sauvages ivres. Et c'est là ce peuple si doux, si léger et si gai! Arlequins anthropophages, je ne veux plus entendre parler de vous. Courez du bûcher au bal, et de la grève à l'opéra comique, rouez Calas, pendez Sirven, brûlez cinq pauvres jeunes gens qu'il fallait, comme disent mes anges, mettre six mois à St Lazare. Je ne veux pas respirer le même air que vous.

Mes anges, je vous conjure encore une fois, de me dire tout ce que vous savez. L'inquisition est fade en comparaison de vos jansénistes de grand'chambre et de tournelle. Il n'y a point de loi qui ordonne ces horreurs en pareil cas; il n'y a que le diable qui soit capable de brûler les hommes en dépit de la loi. Quoi! le caprice de cinq vieux fous suffira pour infliger des supplices qui auraient fait trembler Busiris! Je m'arrête, car j'en dirais bien davantage. C'est trop parler de démons, je ne veux qu'aimer mes anges.