1762-09-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Cosimo Alessandro Collini.

Voicy tout ce que peut répondre un pauvre homme qui perd L'ouïe et la vue, et qui perdra bientôt le reste.

1º Il y a toujours quelque choses à refaire à une Tragédie. Je me suis aperçu que, dans la prémière scène du 4e acte, L'hiérophante ne donne nulle raison de cette loi qui n'accorde qu'un seul jour à Olimpie pour renoncer à son époux, et pour faire un nouveau choix; la voicy, cette raison:

. . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
Son épouse en un jour peut former d'autres nœuds,
Elle le peut sans honte, à moins que sa clémence,
A l'éxemple des dieux ne pardonne l'offense.
La Loi donne un seul jour. Elle accourcit les temps
Des chagrins attachés à ces grands changements;
Mais surtout, attendez les ordres d'une mère;
Elle a repris ces droits, ce sacré caractère
etca.

Monsieur Colini est prié de faire porter ce petit changement sur le Rolle de L'hiérophante. La pièce aurait encor besoin de quelques autres changements; mais comme le temps prèsse, on ne veut pas fatiguer les acteurs.

2º On a déjà dit dans la dernière Lettre, comment la scène du bûcher fut éxécutée au château de Ferney. On prendra sur le Théâtre de Schwetzingen le parti que l'on voudra. Mais il est surtout éssentiel que les prêtresses apportent un autel sur le devant du Bûcher, et qu'Olimpie monte sur un petit gradin à cet autel.

3º Ce qu'il y a de plus nécessaire, c'est que l'actrice chargée du rôle d'Olimpie soit très attendrissante, qu'elle soupire, qu'elle sanglote, que dans sa scène avec sa mère elle observe de longues pauses, de longs silences, qui sont le caractère de la modestie, de la douleur, et de l'embarras.

Il faut au dernier acte un air recueilli, et plein d'un sombre désespoir; c'est là surtout qu'il est nécessaire de mettre de longs silences entre les vers. Il faut aumoins deux ou trois secondes en récitant

Aprends — que je t'adore — et que je m'en punis. Un silence après Aprends, un silence après que je t'adore.

Le rôle de Cassandre doit être joué avec la plus grande chaleur, et celui de L'hiérophante avec une dignité attendrissante.

4º Monsieur Colini est instamment prié de ne point faire imprimer la pièce, avant qu'on y ait donné la dernière main. On lui enverra de plus, un gros cahier de remarques historiques sur les ministères des anciens, et sur les devoirs des prêtres. Ce morceau sera assez curieux, mais il ne faut pas songer à faire L'Édition en France. Monsieur Colini poura se servir de la voye de Hollande ou de Francfort. Le malade lui fait mille compliments.