à Mannheim ce 7 Septbre 1762
Mon cher Protecteur,
On a joué avant hier Dimanche, Tancrède pour la première fois sur le Théâtre de Schwetzingen.
Le Spectacle a été magnifique. Les habits des Acteurs ont été fait sur le modèle de ceux dont on s'est servi à Paris. Tout y était neuf, et avec pompe. Je doute fort qu'on ait eu à Paris une décoration telle que celle du troisième acte. Le Palais du Conseil dans le fond du Théâtre, était isolé: sept ou huit marches en rendaient l'entrée majestueuse. Deux rues de côté aboutissaient à des Palais et à des Temples. Les côtés de la grande Place publique étaient ornés de trophées de toute espèce qui étant tous à jours, étaient très-illuminés, de sorte qu'on en voyait distinctement les figures, les emblèmes, et les devises. Il y avait plus de 50 personnes sur le théâtre à la scène 6e du 3e Acte. La reconnaissance d'Amenaïde et de Tancrède, et la noble fierté de ce dernier au milieu de tout ce Peuple, ont fait un éffet étonnant. La Pièce a été assez bien jouée; mais ces vers du Rolle d'Amenaïde marqués d'un astérisque que vous avez averti devoir être récités avec le ton d'une froideur contrainte, ont été récités ici avec le ton du désespoir. Tancrède mourant vers la fin de la Pièce est porté par des soldats sur un beau brancard orné de trophées. Amenaïde doit tomber évanouie ou morte à son côté, mais notre Amenaïde n'ayant pas de place sur ce brancard ou fauteuil pour pouvoir y tomber à côté de son amant, s'est laissée tomber à terre; cela convient-il?
On se prépare à jouer Cassandre; mais ce ne sera que dans quinze jours, ou trois semaines. Jouera-t-on cette Pièce à Paris? Je désire toujours que vous veniez ici vous-même pour diriger cette Pièce.
Ne m'oubliez pas. J'ai pour vous l'attachement le plus déterminé, et la reconnaissance la plus vive. J'ai l'honeur d'être avec un profond respect
Mon cher Protecteur
Votre très-humble et très obéissant serviteur
Colini