1768-06-04, de Cosimo Alessandro Collini à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher Protecteur,

Comment! Est-ce un songe?
Je vous reverrai! Je n'ose en vérité pas le croire. A la fin de Juillet vous serez libre, dites-vous; j'attendrai cette fin de Juillet avec la plus vive impatience. Croyez-moi, mon cher Protecteur, un petit voyage ne fera que du bien à votre santé. Je vous entends encore répondre, à 74 ans? Ouï, parce que vous quitterez pour quelque temps vos livres, vos papiers, et vos Cramers qui vous consument. Laissez là le travail; dissipéz-vous, cherchez d'autres objets, donnez quelque relâche à votre âme, vivez enfin un moment: vous reviendrez ensuite au travail avec plus de plaisir, et vous vous porterez mieux.

Quel Dieu vous a inspiré! Vous voulez donc revoir le Confluent du Necker et du Rhin! Je n'ai pas plutôt reçu votre Lettre que je l'ai communiquée à Mg͞r l'Electeur. Il a appris votre résolution avec un vrai plaisir, et m'a chargé de vous mander qu'il vous attend. Soyez persuadé que vous serez bien reçu. Venez donc ranimer notre Cour et nos spectacles. N'auriez-vous pas quelque Pièce dont vous seriez curieux de voir l'éffet? Quel bonheur pour moi de revoir mon Bienfaicteur! J'aurai soin de vous ici autant qu'il me sera possible; mon tendre attachement doit vous en être garant. Si vous avez besoin de votre ancien scribe, il sera à vos ordres. Je vous présenterai, savez-vous combien d'enfants? quatre, parmi les quels vous en verrez deux qui viennent d'être inoculés. J'espère que vous me manderez exactement le jour de votre départ, et celui où vous comptez arriver ici: vous trouverez votre logement prêt à Schwetzingen. Je voudrois qu'il vous prît envie d'y venir plûtôt que vous ne le promettez. Je vous avoue que les Gazettes aussi menteuses que la Renommée aux trois cornets à bouquin, m'avoient un peu allarmé sur l'état de votre santé.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect

Mon cher Protecteur

Votre très-humble et très obéissant serviteur

Colini