1773-11-16, de Cosimo Alessandro Collini à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher Protecteur,

Un de mes Compatriotes s’est adressé à moi pour vous faire parvenir ses Ouvrages, et pour vous supplier de vouloir bien les agréer.
Je fais partir aujourd’hui ce petit paquet par les chariots de Poste. Vous y trouverez un Ouvrage immortel; c’est la Henriade en Vers Italiens. Bientôt il n’y aura plus de Nation qui ne se soit appropriée ce Chef-d’Œuvre.

Vous m’avez totalement oublié, mon cher Bienfaicteur. Mannheim ne vous intéresse plus, tandis que je désirerois, si je le pouvois, finir mes jours à Ferney. Comment tout change sur la terre! Les Jésuites qui paroissoient ne devoir finir qu’avec le monde, ne sont plus. Mais que m’importent les Jésuites? Vous aviez autrefois de la bienveillance pour moi: qui sait si vous vous ressouvenez actuellement de mon nom? Vous aimiez l’Electeur et son Palatinat; et vous n’en parlez plus aujourd’hui. Ce qu’il y aura du moins de plus constant dans le monde, ce sera mon attachement pour vous, ma reconnoissance, et le souvenir de tout ce que je vous dois. Quelles années précieuses que celles que j’ai eu le bonheur de passer avec vous! Mais n’y pensons plus. J’ai une femme et quatre enfans: cela me fait une petite société qui ne sera certainement pas si riche que celle de Jesus. Cependant Dieu m’est témoin que je n’ai jamais fait vœu de pauvreté.

Si votre santé, si vos occupations importantes vous le permettent, dictez au moins un mot pour me dire que j’ai droit encore à votre protection et à votre amitié, et ce mot sera fort consolant pour moi.

J’ai l’honneur d’être avec un profond respect,

Mon cher Bienfaicteur.

Permettez que je présente mes respects à Made Denis.