1764-03-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Eh bien mes Anges gardiens, si on donne des ordures à l'opera comique, on montre donc la rareté et la curiosité à la comédie française?
Il est vrai qu'il faut un peu de ces facéties pour réveiller le public assoupi qui dort au théâtre depuis si longtemps. Il a falu dissiper l'ennui de l'uniformité. Le grand malheur de nôtre théâtre c'est que presque toutes les tragédies se ressemblent. Comment fera-t-on d'ors en avant? Voilà mon embaras. Il parait aussi difficile de trouver des auteurs et des acteurs qu'à un controlleur général de trouver de l'argent. Je croyais que ce serait Grandval qui grasseirait le rolle d'Antigone mais il a êté annoné dit-on par ce bellâtre de Bellecour, qui avec ses gestes de province répand dit-on la glace à pleines mains. Je crois révérence parler qu'Olimpie a êté mieux jouée à Fernex qu'à Paris. L'exagération est un peu forte, mais il faut pardonner aux campagnards d'aimer le vin du crû. Il arrivera malheur au théâtre parisien. La pompe et le grand appareil du spectacle ayant réussi on ne voudra plus donner que du Servandoni. Les anciennes pièces paraitront fades et les nouvelles ne seront que les grandes marionettes. Nous passerons en tout d'une extrémité à l'autre. Nous ne savons plus ce que nous voulons. Notre nation est folle et probablement le sera toujours, mais ce qu'il y a de plus plaisant ce sont les gens de vôtre pais qui veulent faire les graves. Ne riez vous pas prodigieusement de tout ce que vous voyez? que vous faites à merveilles de songer à vous amuser dès qu'il est quatre heures et demie, et d'aller juger les belles lenteurs de Clairon et les belles convulsions de Dumesnil! Avouez que je suis bien bon d'abandonner ma charüe et mon rateau pour amuser messieurs les Parisiens, mais c'est vous qui m'y avez forcé, c'est vous qui avez fait l'orphelin de la Chine, Tancrède, le droit du seigneur, Olimpie et les Rouez. Je vous enverrai quand vous voudrez un nouveau quatrième acte pour ces Rouez; je n'ai pas actuellement mon clerc à côté de moi, mais la chose ne presse pas et vous avez du temps devant vous.

Je suis très fâché de la goute de monsieur le Duc de Prazlin et je suis très aise que Madame de Pompadour se porte mieux. Il est vrai qu'elle aimait beaucoup Catilina, mais enfin c'est toujours aimer les belles Lettres, et c'est un goût assez rare à vôtre cour. Avez vous entendu parler de la palisotise intitulée la Dunciade? Je me flatte que Monsieur le Duc de Choiseul ne