1763-06-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Mes divins anges j'ay reçu le paquet de madame la duchesse d'Anville.
J'écris à monsieur des Parcieux et je souhaitte au government l'honneur et la gloire d'exécuter le projet d'un académicien aussi habile que bon citoien. Votre projet d'établir les feuilles de mrs Arnaud et Suard est celui de st Michel d'écrazer le diable. Vous pensez bien que je serviray avec zèle dans votre armée. Si mr le duc de Pralin veut seulement favorizer la bonne volonté de quelques directeurs des postes qui m'enverront les nouvautez d'Angleterre, d'Italie et d'Allemagne, moyennant une petite rétribution, je fournirai exactement votre armée, et les deux chefs rédigeront à leur gré tout ce que je leur ferai parvenir. Je m'instruirai, je m'amuserai, je vous servirai. Rien ne pouvait m'arriver de plus agréable.

C'est monsieur le contrôleur général qui a fait graver Tronchin. C'est luy qui donne ces estampes, et c'est luy faire plaisir que de luy en demander. Je ne crois pas qu'il fasse graver messieurs de la grand chambre, ny que messieurs fassent la dépense de son portrait: on sifle sa pièce; mais je ne l'en crois pas l'autheur. Pour celle d'Olimpie, il est bien difficile d'exécuter l'idée que vous approuvez et que je n'ay proposée que comme nouvelle et non comme heureuse. Songez qu'Antigone étant mort rien ne pourait plus alors empêcher Olimpie de se faire relligieuse. Le pontife n'aurait plus à craindre le combat des deux rivaux dans le temple et s'il craignait la violence de Cassandre il démentirait son caractère. Le téâtre serait trop vide, la fin trop maigre. Olimpie entre les deux rivaux forme un bien plus beau spectacle, qu'en se trouvant seule avec Cassandre; et c'est peutêtre quelque chose d'assez heureux d'introduire devant elle les deux princes obligez tout deux de respecter celle qu'ils veulent enlever, et réduits à l'impossibilité de troubler la cérémonie. La mort d'Antigone ne peut jamais faire un grand effet. Ce n'est pas un tiran dont la mort soit nécessaire pour mettre deux amants en liberté, et ce n'est guères que dans ce cas que le spectateur aime la mort d'un personage odieux. Antigone mort ne serait qu'un personage de moins au cinquième acte. Considérez encor que tous les personnages mourraient, et qu'il faut bien au moins qu'il en reste un, n'importe le quel. Mais c'est le plus coupable qui s'est sauvé? Ouy. Par ma foy mes anges c'est ainsi que la providence est souvent faitte; et j'en suis bien fâché.

En attendant que je débrouille mes idées, voicy une Zulime pour mr de Thibouville-Baron. Cette Zulime me parait assez rondement écritte, c'est tout. J'ay peu d'entousiasme pour mes ouvrages. Mes anges je n'en ai que pour vous.

A l'égard de mademoiselle Clairon si les frères Crammer débitent avec quelque avantage le tome d'Olimpie, de Zulime et du droit du seigneur il faudra bien qu'ils fassent un présent. Mais peutêtre pour assurer le débit du livre il faudra faire jouer ces pièces. Mes anges feront comme ils le jugeront à propos. Ils sont les maîtres, et je suis bien honteux de leur soumettre un si petit empire.