1766-08-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Le petit prêtre a reçu les roués; le petit prêtre plus tragique que jamais, car il joint aux roués dans son imagination, les décollés, les baîllonnés, les brûlés, les incarcérés qui écrivent des mémoires avec des cure-dents, et il ne s'accoutume point à ces passages rapides de l'opéra comique à la grève.
Il est toujours fâché de voir des singes devenus tigres, mais il gourmande son imagination, il ne s'occupe que des atrocités de l'antiquité. Il est très touché des choses raisonnables que ses anges lui disent. Il sait très bien qu'il n'est pas membre du parlement d'Angleterre. Il dévore en secret ses sentiments d'humanité, il gémit obscurément sur la nature humaine.

Osera-t-il prier l'une des deux anges d'expliquer une critique qu'elle a faite de la tragédie d'Octave et du jeune Pompée dans sa lettre du 22e juillet dont elle a daigné accompagner l'envoi de la pièce? Voici la critique.

Pompée doit songer à qui ce serait directement s'attaquer; rien ne pourrait mettre Pompée à couvert de son ressentiment. Est-ce du ressentiment d'Octave dont vous voulez parler, madame, ou du ressentiment du sénat de Rome? C'est peut-être de l'un et de l'autre. Je crois la critique très juste, et je vous réponds que le jeune auteur y aura la plus grande attention. Vous savez combien il est docile à vos critiques, quelle déférence il a toujours eue pour vos jugements.

Quoiqu'il soit plongé dans l'antiquité il ne laisse pas de s'intéresser quelquefois aux modernes. Le mémoire écrit avec un cure-dent lui a paru devoir faire un effet prodigieux. S'est il trompé? et se trompe-t-il quand il pense que ce mémoire irritera des hommes considérables? O Welches! sans tous ces orages, votre pays serait un joli pays!

Respect et tendresse.

V.