On dit un grand bien de vos Dalécarliens, mon cher confrère.
On dit que les pirrhoniens seront écrasés par vôtre ouvrage; je vous en félicite d'avance. Il faut que les français vous aient l'obligation de soutenir leur théâtre, mais ils sont quelque fois plus ingrats que reconnaissants, et il y a autant d'arbitraire dans les jugements de parterre que dans ceux des parlements. J'avoue qu'il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites de la belle réception qu'on fit à cette Adélaïde Du Guesclin longtemps avant que vous ne fussiez né. On ne réussit dans ce monde qu'à la pointe de l'épée. Le plaisant de l'affaire, c'est qu'il n'y a pas un mot de changé dans la pièce autrefois siflée et aujourd'hui aplaudie. Ces éxemples doivent consoler la jeunesse. Songez que si vous travaillez pour des français, vous travaillez aussi pour des Welches qui ont approuvé une Electre amoureuse d'un Itis, qui ont préféré la Phèdre de Pradon à celle de Racine, et qui ont méprisé Athalie pendant trente ans. C'est bien pis dans les provinces où les présidents des Elections et les Echevins jugent d'un ouvrage par les feuilles de Freron. Heureusement vous avez autant de courage que de génie. Quelqu'un a dit que la gloire réside au haut d'une montagne, les aigles y volent, et les reptiles s'y trainent. Vous avez pris un vol d'aigle dans Warwick, et vos ailes sont bonnes.
Je vous embrasse de tout mon cœur. Made Denis vous fait mille compliments.
19e 8bre 1765