à Colmar 30 xbre [1753]
Avec des malheurs qui accablent, avec une maladie qui mène au tombeau, avec des annales de L'empire qui surchargent l'esprit, on n'écrit guères.
Cependant monseigneur je vous écrirais à l'agonie; j'aprends que Mr le duc de Fronsac est réchappé d'une maladie dangereuse. Je vous en félicite et je luy souhaitte une carrière aussi brillante et aussi glorieuse que la vôtre. Il est triste que je voye finir la mienne loin de vous. Un événement imprévu recule encor mes espérances. Voicy des pièces qui peuvent démontrer mon innocence, et qui peutêtre la laisseront opprimée. Je vous demande en grâce que la copie de ma lettre à madame de Pompadour ne soit pas vüe de vos secrétaires. J'ay un petit malheur, c'est que je n'écris pas une ligne qui ne coure l'Europe. Il y a un lutin qui préside à ma destinée. Si ce farfadet pouvait s'entendre avec le génie qui préside à la vôtre je bénirais ma dernière course.
Je pourais m'étonner qu'on m'eût acusé d'avoir fait imprimer cette histoire informe, dans le temps que j'en ay depuis dix ans des manuscrits cent fois plus corrects, plus curieux, et plus amples. Je pourais m'étonner qu'on eût cette injustice dans le temps que je suis en France, dans le temps que j'ay supplié très instament M. de Malzerbes de supprimer cette édition, mais je ne m'étonne de rien, je ne me plains de rien, et je suis préparé à tout. Adieu monseigneur, conservez moy vos bontez.
V.
P. S. On m'assure que le prince Charles rendit au roy de Prusse sa cassette prise à la bataille de Sore, dans la quelle s. m. p. prétend qu'il avait mis mon manuscrit. Je sçai qu'on luy rendit jusqu'à son chien. Il me demanda depuis un nouvel exemplaire. Je luy en donnay un plus correct et plus ample. Il a gardé celuy là. Son libraire Jean Neaume a imprimé l'autre.
Nous n'avons pas porté de santé, ma nièce ny moy depuis un souper où nous nous trouvâmes tout deux un peu mal à Francfort. Voylà pourquoy ma santé toujours languissante ne m'a pas permis de vous écrire.