1754-01-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Georg Conrad Walther.

J'ai reçu ce matin mon cher Valther vôtre lêttre du 23 Décembre avec le paquet de la prétendue histoire universelle imprimée chez Jean Néaulme à la Haye.
Il prétend avoir acheté ce manuscript cinquante Louis d'or d'un Domestique de Monseigneur le Prince Charles de Lorraine. C'est un ancien manuscript très imparfait que j'avais pris la liberté de donner au Roi de Prusse sur la fin de 1739 dans le tems qu'il était prince roial. Cet ouvrage ne méritait pas de lui être offert, mais comme il s'occupait de toutes les sortes de littératures et qu'il me prévenait par les plus grandes bontés, je ne balançai pas à lui envoier cette première ésquisse toute informe qu'elle était. Il me manda depuis qu'il avait perdu ce manuscript à la bataille de Sore dans son équipage dont les houzards autrichiens s'étaient emparéz.

C'est ce manuscript très défectueux par lui-même qui vient de paraître en Hollande et dont on a fait deux éditions à Paris, jamais ouvrage n'a été imprimé d'une manière si fautive. Les omissions, les interpolations mal placées, les fautes de calcul, les noms défigurés, les fausses dattes rendent le livre ridicule. Il est de plus intitulé Abrégé de l'histoire jusqu'à Charles-quint et il ne va pas jusqu'au roi de France Louis XI. Tous les autres manuscripts qui sont en grand nombre sont beaucoup plus amples et très différents. J'avais absolument abandonné ce grand ouvrage parce que j'ai perdu depuis longtems la partie qui était pour moi la plus intéressante, c'est celle des sciences et des arts. Il me faudrait une année entière pour finir cette grande entreprise, et il faudrait que j'eusse le Sécours d'une grande Bibliothèque, comme celles de Paris où de Monsieur le Comte de Brüll. Il me faudrait encor de la santé, voilà bien des choses qui me manquent.

Je ne sais s'il est de vôtre intérêt de vous charger à présent d'une nouvelle édition de l'histoire imparfaite de Jean Néaulme dont le public est inondé, mais en cas que vous persistiez dans ce déssein, je vais travailler sur le champ à un ample érrata, peut être que les objets intéressants qui sont traittés dans cet ouvrage, paraissant avec plus de corrections vous procureraient quelque débit.

Je saisirai toûjours touttes les occasions de vous faire plaisir, vous regardant comme un honnête homme et comme mon ami. Je vous ai déjà écrit que je faisais imprimer sous mes yeux à Colmar et à Bâle les Annales de l'empire. Mr Schoepling, le célèbre Professeur d'histoire, en est assez content. J'en ai fait présent à son frère, libraire à Colmar, comme je vous l'ai mandé. Je vous conseillerais de vous accomoder avec Mr. Schoepling de Colmar d'une partie de son édition. J'ai tâché surtout de rendre ce livre utile aux jeunes gens, je le crois éxact, et on me flatte qu'il pourait être nécessaire à l'éducation de la noblesse d'Allemagne. En ce cas ce serait un bon fonds pour vous avec vôtre privilège. S'il y a quelque chose de nouveau sur tout cela vous me ferez plaisir de me le mander. Tâchez je vous en prie de vous arranger avec Mr. Schoepling. L'édition est correcte, on commence à débiter le 1er tome, et je crois que vous gagnerez plus en achétant son édition qu'en la faisant vous-même. Vous me ferez plaisir de vous entendre avec lui.

Voicy deux cent pages de L'édition de Jean Neaume corrigées. Si vous imprimez ce livre, je continuerai. Comptez pour toujours sur mon amitié.

V.