1754-03-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes.

Monsieur,

Je vous demande pardon de l'indiscrétion qu'on a euë d'adresser des Lettres pour moi du fonds de l'Espagne chez feu Mr. de la Reiniere; et je vous remercie de touttes vos bontés.
Je serais très fâché d'en abuser; je vous ai seulement suplié, Monsieur, de vouloir bien dans l'occasion rendre témoignage à la vérité que vous connaissez: non seulement je n'ai point envoïé directement le manuscrit de la prétendue histoire universelle à Jean Néaulme, mais je ne l'ai pas envoïé indirectement. Il avouë lui-même dans sa Préface, qu'il tient ce manuscrit si infidèle et si tronqué, d'un homme de Bruxelles, le quel apartient à Mr. le Prince Charles de Lorraine. Je me suis plaint de cet infâme procédé dans toutes les gazettes. J'ai condamné l'édition de Néaulme; et lorsque ce malheureux libraire m'a écrit en dernier lieu que ce domestique du Prince Charles était un très galant-homme, je lui ai répondu, que ce Galant-homme a fait une action indigne de vendre un très-mauvais manuscrit qui ne lui apartenait pas. Le Roy a lû le livre; il a lû aussi le procès verbal. Je sais bien qu'on lui a dit ainsi qu'à Madame de Pompadour que je n'étais pas si fâché de cette édition que je le paraissais; et voilà pourquoi, Monsieur, j'ai pris la liberté de vous supplier de détromper Madame de Pompadour, quand l'occasion s'en présenterait, et de vouloir bien détruire d'un mot de vôtre bouche, la mauvaise foi, et la calomnie que je ne peux pas supporter.

Quant aux annales de l'Empire que j'ai composées par pure complaisance pour Madame la Duchesse de Saxe-Gotha, je les avouerai toujours parce que je les crois très éxactes et très-vraies, surtout à l'aide des cartons nécessaires; et s'il y a un seul mot contre la vérité, je suis prest de le corriger. C'est un livre qui n'est guères fait pour la France: il parait déjà trois éditions du premier volume dans les païs étrangers. Je compte avoir incessament l'honneur de vous envoïer le second volume avec les cartons du premier; et je regarderai comme une grande grâce, que vous vouliez bien donner à cet ouvrage une place dans vôtre bibliothèque. Je vous demande bien pardon de toutes mes importunités, et suis avec une respectueuse reconnaissance

Monsieur

Vôtre très-humble et très-obéissant serviteur

Voltaire