Fait à Colmar le 28 février 1754
Je vous prie instamment, monsieur, de vouloir bien donner place dans votre Gazette à cet avertissement que j'ai cru absolument nécessaire.
J'attends cette grâce de vous, & le triste état où je suis est un nouveau motif propre à vous y engager.
Ce n'est ni la persécution, ni l'enchaînement des malheurs qui la suit, ni la crainte, ni l'espérance; c'est uniquement la vérité qui m'oblige de déclarer, que loin d'avoir la plus légère part à l'édition fautive & répréhensible de l'abrégé d'une prétendue Histoire universelle, imprimée sous mon nom à La Haye, chez Jean Néaulme, & à Paris chez Du Chene, je l'ai réprouvée & condamnée hautement; que mon véritable manuscrit, conforme à celui que le roi de Prusse, madame la duchesse de Gotha, & plusieurs autres personnes possèdent depuis treize ans, est entièrement différent du livre imprimé par Néaulme sans ma participation; qu'ayant fait venir ce manuscrit de Paris, j'en ai établi l'authenticité par devant les notaires de Colmar, Callot & Besson, le 25 février; que ce manuscrit est de l'année 1740, qu'il contient 1254 pages, en deux tomes, très usés, outre douze cahiers séparés; qu'il est sept à huit fois plus ample que la prétendue Histoire universelle donnée sous mon nom, & que ces deux ouvrages ne se ressemblent pas. J'espère que les particuliers qui ont des copies de cet ancien manuscrit, ne les livreront pas à des libraires, & je les en supplie, avec d'autant plus de raison, que cet ample manuscrit n'est encore qu'un recueil très informe de matériaux indignes de paraître. Ce sont mes anciennes études, qui ne sont assurément pas faites pour être imprimées.
Pour donner cet avertissement nécessaire, j'ai cru pouvoir avec bienséance me servir de la voie des gazettes qui vont d'un bout de l'Europe à l'autre, dans lesquelles tant de Princes & de Ministres font insérer des avertissements, & qui sont un dépôt public où tout homme, que ses places, ou ses ouvrages, ou ses malheurs exposent au public, est reçu à manifester son innocence. C'est en vertu de ce droit naturel que je confonds publiquement les impostures imprimées depuis peu dans tant de libelles, & envoyées de Paris aux gazettes d'Allemagne. C'est sans me plaindre de personne, que je déclare qu'il n'y a pas un seul libraire d'Allemagne & de Hollande, à qui j'aie jamais vendu un seul ouvrage; que je leur ai tout donné gratuitement; que j'ai donné ainsi les Annales de l'empire, entreprises uniquement pour obéir à une souveraine, dont les ordres ont prévalu sur la connaissance de mon peu de talent; que s'il y a un mot dans ces Annales qui blesse la vérité, je le corrigerai sur le champ, & que j'enverrai à mes dépens les cartons nécessaires à tout libraire qui les imprimera.
Je crois devoir à toutes les académies dont j'ai l'honneur d'être, cette déclaration publique. Je me joins à elles & à tous les honnêtes gens pour condamner les impostures imprimées dans des feuilles périodiques, & dans tant d'autres libelles. Je déclare qu'il est très vrai que je remis, le 4 janvier de l'année passée, avec le plus profond respect & la plus sincère reconnaissance, les honneurs dont un grand prince à jamais respectable pour moi, m'avait comblé, & que ceux qui ont imprimé le contraire, n'ont pas dit la vérité. Je déclare qu'il n'y a personne dans l'Europe, qui puisse m'imputer avec la plus légère vraisemblance, le moindre manque de respect à ce prince dont le nom m'est sacré, & à l'égard des calomnies grossières, si grossièrement exprimées dans la plus mauvaise prose & dans les plus mauvais vers qui jamais aient déshonoré la presse, il suffit de l'indignation du public, & je n'ai pas besoin d'y joindre la mienne.
Voltaire gentilhomme ordinaire du roi, de l'Académie française, de celles de Rome, de Toscane, de Boulogne, de Londres, d'Edimbourg, de Pétersbourg & autres.