à Colmar 17 février 1754
Le larcin et la punissable insolence de Jean Néaulme, libraire de la Haye, ont infecté toute l'Europe de l'infâme et ridicule abrégé de l'Histoire universelle, dont presque toutes les lignes sont autant d'erreurs et d'indécences.
Tout ce que Monsieur de Voltaire a pû faire, c'est de détromper le public dans les gazettes et dans les journaux: mais ses soins n'ont pû empêcher que les éditions ne se soient multipliées. On en a fait trois en France, deux en Hollande; on en fait actuellement à Geneve et à Leipzig. Monsieur de Voltaire sur l'avis qu'il a eu qu'on en méditait encor une à Paris, prit le parti il y a quelque temps, d'envoïer à mr. Lambert une liste de plus de deux-cent-cinquante fautes énormes. Mais la faute la plus essentielle de toutes, est une altération punissable qui se trouve à la page 11 de l'introduction lig. 4 et 5.
Les historiens semblables en cela aux Rois, sacrifient le genre humain à un seul homme.
Ceux qui ont vû le manuscrit véritable de Monsieur de Voltaire, savent qu'il porte,
Les historiens imitent en cela quelques tirans, dont ils parlent; ils sacrifient le genre humain à un seul homme.
Si mr. Lambert connait quelqu'un qui ait entrepris une nouvelle édition de cette prétendue Histoire universelle, il est prié de lui communiquer cet avertissement nécessaire.
Plusieurs libraires étrangers pressent monsieur de Voltaire de donner enfin une véritable édition de ses œuvres mêlées. La petite qu'on a faite à Paris en 1751 et qu'on a imitée à Leipzig, n'est pas supportable. Il y a de doubles emplois ridicules: on y trouve plusieurs chapitres du Siécle de Louis XIV qui ne devraient pas y être, puisqu'ils sont ailleurs. Il y a trois chapitres entiers dans les mêlanges de Littérature, qui se retrouvent dans le tome de la Philosophie de Neuton. Les trois quarts de ses pièces fugitives ne sont point telles qu'il les a faites. Toute la fin même du cinquième chant de la Henriade est altérée. On a inséré dans cette édition des pauvretés de Littérature qui ne sont point de lui, et on a omis des choses intéressantes, qui en sont. Plusieurs libraires offrent à mr. de Voltaire d'imprimer ses véritables œuvres mêlées. Il compte les donner en cinq ou six volumes, lesquels seront suivis de la partie historique, contenant Charles XII, Louis XIV, et l'Histoire universelle.
Si mr. Lambert veut avoir la préférence, et travailler sur le champ, mr. de Voltaire est prêt en ce cas de lui donner ce que d'autres veulent acheter, et il se fera un véritable plaisir de lui faire tenir par une voïe sûre, un éxemplaire bien différent de tout ce qu'on a imprimé jusqu'ici, et qui certainement à la longue ne sera pas inutile à mr. Lambert. Il est prié de faire sur le champ réponse à mr. de Voltaire, sans quoi il sera obligé d'envoïer son manuscrit à d'autres. Il n'a qu'à adresser sa lettre à Strasbourg sous l'enveloppe de mr. de Fresney Directeur général des Postes d'Alsace.