13e xbre 1767, à Ferney
Vôtre malingre et affligé serviteur ne peut écrire de sa main à son héros.
Tout languissant qu'il est il compte bien donner nonseulement la fiancée du Roi de Garbe quand il aura quatre vingt ans, mais encor le portier des chartreux pour petite pièce, que Monseigneur fera représenter à la cour avec tout l'apareil convenable.
La prison du prince de Condé, la mort de François second seraient à la vérité un sujet de Tragédie, mais je ne réponds pas de l'aprobation de la police. La pièce serait très froide si elle n'était pas très insolente, et si elle était insolente on ne pourait la jouer qu'en Angleterre.
En attendant, si j'avais quelque chose à demander au tripot ce serait qu'on achevât les représentations des Scythes. On ne les a données que quatre fois, et elles ont valu six cent francs à Le Kain. Il n'y a plus de loix, plus d'honneur, plus de reconnaissance dans le tripot. J'oserais implorer vôtre protection comme les Genois, mais Monseigneur vient à Paris passer six semaines, et partager son temps entre les affaires et les plaisirs; ensuite il court dans le roiaume du prince noir pour le reste de l'année; et je ne puis alors recourir aux loix du fond de mes déserts des Alpes.
On m'a mandé que vous aviez abandonné tout net le département dudit tripot. Alors je me suis adressé à Mr Le Duc De Duras, afin que mes prières ne sortissent point de la famille. On m'a fait un grand crime dans Paris, c'est à dire, parmi sept ou huit personnes de Paris, d'avoir ôté un rôle à Madlle Durancy pour le donner à Madlle Dubois. Le fait est que j'ai écrit une Lettre de politesses et de plaisanteries à Madlle Dubois, et qu'il m'est très indifférent par qui tous mes pauvres rôles soient joués. Je ne connais aucune actrice. Le bruit public est que le cu de mlle Durancy n'est ni si blanc, ni si ferme que celui de Mlle Dubois; je m'en raporte aux connaisseurs, et je n'ai acception de personne.
Vous ne connaissez pas d'ailleurs ma déplorable situation. Si j'avais l'honneur de vous entretenir seulement un quart d'heure, mon héros pouferait de rire. Il sait ce que c'est que l'absence, et combien on dépend quand on est à cent lieues de son tripot. Mais il sait aussi que je voudrais ne dépendre que de lui, et que c'est à lui que je suis attaché jusqu'au dernier moment de ma vie.
A l'égard du jeune homme dont vous avez eu la bonté de me renvoier la Lettre, il est vrai que c'est un des seigneurs des mieux mis et des plus brillants. J'ai peur que sa magnificence ne lui coûte de tristes moments. Je ne me mêle plus en aucune manière de ses affaires. J'ai eu pour lui pendant un an toutes les attentions que je devais à un homme envoié par vous. Je n'ai rien négligé pour le rendre digne de vos bontés. C'est maintenant à Mr Hennin uniquement à se charger de son sort et de sa conduite. Si vous avez quelques ordres à me donner sur son compte, je les éxécuterai avec exactitude; mais je ne ferai absolument rien sans vos ordres précis.
Agréez, Monseigneur, avec autant de bonté que de plaisanterie, mon très tendre et très profond respect.
V.