1767-09-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.
Rendez à César ce qui appartient à Cesar.

J'avoue Monseigneur que l'impertinence est extrême. S'il sait si bien l'histoire, il doit savoir que le secrétaire d'état Villeroy écrivait Monseigneur aux maréchaux de France.

Incessamment Galien poura vous écrire avec la même noblesse de stile, dès qu'il aura fait une petite fortune. Je ne manquerai pas d'exécuter vos ordres. Vous savez peutêtre qu'en qualité de Français je ne puis aller à Geneve. Cela est deffendu, mais on viendra chez moy et je parlerai comme je le dois. De plus je suis dans mon lit où une fièvre lente retient ma figure usée et languissante.

Je présume que vous me donnerez l'ordre d'achever le payement de ce que doit Galien, après quoy vous serez probablement débarassé de ce petit fardau. Je joints icy les mémoires. Vos paquets sont francs, et ce n'est point une indiscrétion de ma part.

Quant à l'article des spectacles, j'ose espérer que vous aurez la bonté d'entrer mes peines. Je ne connais aucun des acteurs excepté Melle du Menil et le Kain. La petite Durancy avait joué chez moy aux Délices à l'âge de 14 ans. Je ne lui ay donné quelques rôles que sur la réputation qu'elle s'est faitte depuis. J'ay fait un partage assez égal entre elle et madelle Dubois. Il me parait que ce partage entretient une émulation nécessaire. Si mademelle Durancy ne réussit pas, les rôles reviennent naturellement aux actrices qui sont plus au goust du public et vos ordres décident de tout. Le pauvre mr Dargental a été bien loin de pouvoir se mêler dans ces tracasseries. Il a été longtemps malade; et sa femme a été un mois entier à la mort. Mr de Thibouville qui a baucoup de talent pour la déclamation n'a fait autrechose qu'assister à quelques répétitions. Il est mon ami depuis trente ans et celuy de ma nièce. Vous ne voulez pas nous priver de cette consolation, sur tout dans le triste état où la vieillesse et la maladie me réduisent.

Daignez agréer mon respect et mon attachement avec votre bonté ordinaire.