1764-06-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher frère, encor une fois, plus j'y pense, moins j'imagine que le Roi de Pologne veuille tous ses éxemplaires.
Il faudrait avoir une cinquantaine d'yeux pour lire 25 Corneilles. Le Roi de Pologne n'en a que deux comme moi, et encor ne sont ils pas meilleurs que les miens. J'ai l'honneur d'être affligé de la vue comme lui. J'espère que Mr Hullin se contentera du paquet qui est chez mr De La Leu, et que nous pourons donner des Corneilles aux gens de Lettres. Frère Cramer n'en a pas assez tiré; il s'est cru obligé de faire la petite édition des commentaires pour les Libraires de Paris; mais il se trouve que cette petite édition ne se raporte point aux pièces de Corneille telles que les Libraires de Paris les ont imprimées, par conséquent elle devient inutile. Tout celà ne parait pas trop bien entendu.

Quoi qu'il en soit, mon cher frère, je crois que vous devez toujours garder vos éxemplaires aussi bien que le petit billet pour Mr Hullin. Je vous ai déjà mandé que j'avais écrit à Mr Hullin par Mr D'Argental. Je l'ai prié de faire retirer le paquet chez Mr De Laleu pour le Roi de Pologne; et voicy un autre billet pour Mr De Laleu que je vous suplie de lui faire tenir. Vous voilà plus chargé des affaires du Parnasse que de celles du vingtième.

Ce Mr Blin de St Maur, vous dis-je, m'a écrit une belle lettre très bien raisonnée sur les pièces admirables de Racine, et sur les scènes imposantes de Corneille. Il y a quelque soixante ans que L'abbé de Chateauneuf me disait, mon enfant, laissez crier le monde, Racine gagnera tous les jours et Corneille perdra.

Pardonnez moi encor une fois mes importunités, et permettez que je mette les trois Lettres cy jointes dans vôtre paquet.

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