23^e avril 1764

Comptez, mon cher frère, que les vrais gens de Lettres, les vrais philosophes, doivent regretter Mad^e De Pompadour.
Elle pensait comme il faut, personne ne le sçait mieux que moi. On a fait en vérité une grande perte.

Je sçais que vous n'avez reçu que 24 éxemplaires du Corneille, dont 12 sont pour M^r De La Leu. Les 24 autres n'arriveront à Paris que dans trois semaines ou un mois. Si vous pouvez donner à m^r D'Aquin un éxemplaire vous me ferez un très grand plaisir.

Je prends aussi la liberté de mettre sous vôtre enveloppe une Lettre pour ce m^r D'Aquin.

J'ai lu la vie du chancelier de l'Hôpital; c'est l'ouvrage d'un jeune homme, mais d'un jeune homme philosophe. Ce chancelier l'était, et je ne crois pas que nôtre D'Aguesseau doive lui être comparé. Il y a des discours de l'Hôpital aux parlements dont ils ne seront pas trop contents. On ne parlerait pas aujourd'hui sur un pareil ton.

Il y a des fanatiques par tout. Ceux qui ne savent pas distinguer les beautés de Corneille d'avec ses défauts, ne méritent pas qu'on les éclaire; et ceux qui sont de mauvaise fois ne méritent pas qu'on leur réponde. Si je suis obligé de dire un mot, ce ne sera qu'en faveur de la liberté de penser, et ce qui me parait la vérité.

Vous me paraissez, mon cher frère, aimer m^r De Montmercy; je voudrais lui donner un Corneille, un recueil de mes misérables ouvrages, et pour une centaine d'écus de livres; mais, comme je ne sçais pas quels livres il lui faut, vous pouriez peut être l'engager à accepter les cent écus en argent.

Permettez vous que je vous envoie un billet sur m^r De La Leu? Vous ajusterez tout celà avec vôtre bonté et vôtre sagesse ordinaire. Je suis trop heureux, je vous le répète, que la philosophie et les Lettres m'aient procuré un ami tel que vous.

Ecr: L'inf.

V.