à Paris ce 18 nov. [1771]
Je ne sais, mon cher maître, par quelle fatalité je n'ai reçu que depuis deux jours votre lettre du 19 octobre, et le paquet qui y étoit joint.
J'ai lu le beau discours d'Anne du Bourg, qui ne corrigera point les fanatiques, mais qui du moins rendra le fanatisme odieux; les pourquoi aux quels on ne répondra point parce qu'il n'y a point de bonne réponse à y faire que de réformer les Welches qui resteront Welches encore long temps; & la méprise d'Arras, qui me paroît bien modestement appellée méprise, et qui n'empêchera point que les successeurs de ces assassins, aussi fanatiques, plus ignorans & plus vils, ne fassent souvent des méprises pareilles, sans compter tout ce qui nous attend d'ailleurs. Quand je vois tout ce qui se passe dans ce bas monde, je voudrois aller tirer le Père Eternel par la Barbe, & lui dire, comme dans une vieille farce de la Passion, Père éternel, quelle vergogne &c. Je suis navré & découragé, je finirai, et je crois bientôt, par ne plus prendre aucun intérêt à toutes les sottises qui se disent et à toutes les atrocités qui s'exercent de Petersbourg à Lisbonne, & par trouver que tout ira bien quand j'aurai bien digéré et bien dormi. Je vous en souhaite autant, mon cher ami, je fais du genre humain deux parts, l'opprimante & l'opprimée, je hais l'une et je méprise l'autre; que ne suis-je au coin de votre feu pour épancher mon cœur dans le vôtre? Je suis bien sûr que nous serions d'accord sur tous les points.
Il y a ici un abbé du Vernet, bon diable, zélé pour la bonne cause et votre admirateur enthousiaste depuis long temps, qu se propose d'élever à votre gloire, non pas une statue comme Pigale, mais un monument littéraire, & qui vous a écrit pour cet objet. Il dit que vous l'invitez d'aller à Ferney. Je vous demande vos bontez pour lui, & j'espère que vous l'en trouverez digne.
C'est samedi prochain 23 que nous donnerons un successeur à ce Prince dont le nom a si stérilement chargé notre liste. Je ne vous réponds pas que nous ayons un Bon Poète, nous en aurions un et même deux si j'en étois cru; mais je tâcherai du moins que nous ayons un homme de lettres honnête, et qui prenne intérêt à la cause commune. C'est à peu près tout ce que nous pouvons faire dans les circonstances présentes, & vous penseriez de même si vous voyiez de près l'état des choses. Adieu, mon cher & illustre maître, je vous embrasse tendrement. Mes respects à madame Denis.