1771-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Je demande, mon cher ami, la bénédiction de mr l’évêque de Senlis, nouveau père du concile académique.
Vous aurez donc m. Gaillard pour successeur du président Henault. Tout cela est dans l’ordre; un évêque succède au faiseur de cantiques de la reine, et un historien succède à un historien. Mais pourquoi mr Marin ne remplacerait il pas mr l’abbé Alary? Il vaut certainement mieux que cet abbé. Il a cultivé presque tous les genres de littérature; il est zélé pour la bonne cause; il a du nerf dans l’esprit. La liberté académique lui serait infiniment chère; il a rendu service à tous les gens de lettres et l’abbé Alary n’avait jamais rendu service qu’à des petits garçons.

Je crois être bien sûr que la sévérité exercée aujourd’hui contre la littérature vient de plus haut que du bureau de la cire. Ce maudit système de la nature a achevé de nous perdre, et nous voilà perdus pour un livre que tous les gens sensés méprisent. Fût il aussi bon qu’il est mauvais, il n’aurait pas fallu le faire. Nous ne guérirons jamais bien de cette blessure mortelle. Si l’auteur avait su quel mal il faisait aux lettres, il aurait jeté son livre dans le feu.

J’ai écrit fortement à m. le maral de Richelieu et à m. le duc de Nevers. Il serait bien triste d’avoir fait des tentatives inutiles et d’avoir dans la compagnie un ennemi implacable.

Pour vous, mon illustre ami, à qui de dois reconnaissance, amitié et admiration, je vous paie comptant tous les jours de ma vie.

V.