1770-11-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

De tous les malades, mon cher philosophe, le plus ambulant c’est vous, et le plus sédentaire c’est moi.

J’ai d’abord à vous dire, que votre archevêque de Toulouse, si tolérant, a fait mourir, par son intolérance, le pauvre abbé Audra, l’intime ami de l’abbé Mords-les, et le mien. Il a fait un mandement cruel contre lui, et a sollicité sa destitution de sa place de professeur en histoire, qui lui valait plus de mille écus par an. Cette aventure a donné la fièvre et le transport au pauvre abbé, il est mort au bout de quatre jours. Je viens d’en apprendre la nouvelle. On me l’avait caché pendt plus de six semaines. Vous voyez, mon cher ami, que les philosophes n’ont pas beau jeu en France.

Voici une petite persécution à la Decius, contre notre primitive église, mais nous avons pour nous l’empereur de la Chine, l’impératrice Catherine 2ème, le roi de Prusse, le roi de Dannemarck, la reine de Suede et son fils, beaucoup de princes de l’empire et toute l’Angleterre. Dieu aura toujours pitié de son troupeau.

Je crois que vous feriez fort bien de donner pour successeur à Moncrif mr Gaillard au lieu d’un archevêque, à condition qu’il ne parlera pas des cantiques sacrés que ce Moncrif faisait pour la reine. Ma nièce vous fait les plus tendres compliments. Ne m’oubliez pas auprès de votre compagnon de voyage. Et quand vous n’aurez rien à faire mandez moi si vous êtes revenu en bonne santé. Je vous embrasse le plus tendrement du monde.

V.