1763-12-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'ignore, mon cher frère, si vous avez reçu en dernier lieu, une tolérance par Besançon, et une autre par l'adresse que vous m'avez donnée.
L'un de ces deux paquets était pour frère Protagoras, à qui je vous suplie de faire rendre ce petit billet. Je suis un peu éfarouché de ce qu'on a retenu à la poste de Paris, deux paquets que frère Cramer envoiait à Mr de Trudaine et à Mr de Montigny. Il est très vraisemblable qu'on criera beaucoup contre l'ouvrage le plus honnête qu'on ait fait depuis longtemps, et peut être la précaution que j'ai prise de le communiquer à la cour avant de le livrer au public, lui nuira plus qu'elle ne lui servira.

A ureste, je pense que la fermentation au sujet des finances, empèchera qu'on ne songe à la philosophie. Quand les hommes sont bien occupés d'une sotise ils ne songent pas à en faire une autre. Chaque impertinence a son temps. Celle de Vôtre archevêque est elle vraie? avait-il préparé un gros mandement dans le goût de celui du fou Dupuy en Vélai? est-il vrai que le Roy l'a menacée d'un petit martire à Pierre-en-Cise, et que le mandement a été suprimé?

Mais ne verrai-je point l'anti-financier qui est suprimé aussi? Tous vos gros paquets, mon cher frère, m'arrivent, et les miens ne vous arrivent pas toujours. Il est plus aisé aux livres de sortir de France que d'y venir.

Vous ne m'avez pas dit un mot de frère Thiriot. L'amitié permet un peu de paresse, mais il abuse de cette permission, il n'est pas tolérant, il est indifférent, et l'oubli total n'est pas d'un cœur bien fait.

A demain le premier jour de 1764, qui probablement produira autant de sotises que les précédentes, sans recourir à l'almanach de Liège.

Ecr: L'inf:

Permettez que je vous adresse cette Lettre pour un homme très malheureux, dont le fils est plus malheureux encor. Ne pouvez vous pas ordonner qu'on la contresigne dans vôtre bureau? L'adresse est dedans sur un petit morceau de papier.