1763-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

C'est pour vous confirmer, mon cher frère, que je ne peux me dispenser d'attendre les remarques que mr D'Argental a eu la bonté de me promettre de la part de mr Le président de Meynière et de mr L'abbé de Chauvelin.
Je dois certainement attendre ces remarques et y déférer; ils sont instruits, et ils veulent bien m'instruire, c'est à moi de profiter de leurs lumières et de les remercier. L'enchanteur Merlin n'a donc qu'à tenir bien renfermés tous les grimoires que les frères Cramer lui ont envoiés, il n'y perdra rien, on poura même, pour plus de facilité, imprimer à Paris les deux chapitres qu'il faudra corriger. Il serait bon que le nom de ce Merlin fût absolument ignoré de tout le monde, il faut qu'il soit le libraire des philosophes; cette dignité peut mener un jour à la fortune ou au martire, ainsi, il doit être invisible comme les roses-croix.

Plus je vieillis, et plus je deviens implacable envers l'infâme. Quel monstre abominable! J'embrasse tendrement tous les frères.

Dites moi, je vous en conjure, des nouvelles du paquet que je vous ai adressé pour mr le comte de Bruc. Si vous ne l'avez pas reçu il est important que vous le redemandiez et mr Janel vous le fera remettre sans doute en paiant. Mr D'Alembert ne vous a t'il pas fait remettre six cent Livres? Je crois que je vous en dois d'avantage pour le payement des livres que vous avez eu la bonté de me faire avoir.

Est-il vrai que le Parlement fait des difficultés sur les Edits du roy? Ces édits m'ont paru de la plus grande sagesse. Les Anglais, nos vainqueurs, sont obligez de s'imposer des taxes pour paiet leurs dettes, il faut aumoins que les vaincus en fassent autant.

Souvenez vous encor, mon cher frère, qu'il y a un Anglais chargé d'un paquet pour mr D'Alembert; et si vous voiez ce cacouac, aiez la bonté de le lui dire.

Voilà bien des articles sur les quels je vous suplie de me répondre. Adieu, ne vous verrai-je point avant de mourir?

Ecrasez l'infâme.

Je rouvre ma Lettre pour vous dire, mon cher frère, qu'il est important que vous alliez voir mr Janel. Je suis au désespoir de ce contretemps. Vous offrirez le paiement du paquet qu'on a retenu, c'est une bagatelle qui ne peut faire de difficulté; mais le point éssentiel est qu'on vous rende la Lettre pour mr le comte de Bruc, l'un de nos frères très zêlé. Il faut aumoins obtenir que mr Janel ne nous fasse pas de la peine; c'était, ne vous déplaise, un Mêlier dont il s'agissait; c'était un de mes amis qui envoiait ce Mêlier à mr De Bruc. Ni la Lettre ni la brochure ne sont parvenues. Je vous ai écrit trois fois sur cette affaire, sans avoir eu de réponse. Mr De Janel est généreux et bienfaisant, il ne refusera pas de nous tirer de ce petit embaras. Je vous répète que je n'avais aucune part ni à la Lettre écrite à Mr De Bruc, ni à la brochure. Ce paquet fut retenu dans les premiers jours où l'on parlait du mandement de Jean Jaques à Christophe, et il y a quelque aparence que ce mandement de J: J: nous aura nui. Je m'en remets à vôtre prudence, mais je vous assure que la chose mérite d'être aprofondie.

J'ai reçu tous les livres que vous avez eu la bonté de m'envoier; je reçois les Troyennes, celà prouve qu'il y a des envois heureux, et d'autres malheureux.