1763-08-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

O mes anges! après avoir beaucoup écrit de ma main, je ne peux plus écrire de ma main.
Je ne m'aviserai pas de vous envoyer corrections, additions, pour la tragédie de mes roués. Une autre farce vient à la traverse. On prétend que notre ami Fréron, très attaché l'an àcien testament, a fait imprimer la facétie de Saül et de David, qui est dans le goût anglais, et qui ne me paraît pas trop faite pour le théâtre de Paris. Ce scélérat, plus méchant qu'Achitophel, a mis bravement mon nom à la tête; c'est du gibier pour Omer. Je n'y sais autre chose que de prévenir Omer, et de présenter requête, s'il veut faire réquisitoire. Je me joins d'esprit et de cœur à messieurs, en cas qu'ils veuillent poser sur le réchaud Saül et David, au pied de l'escalier du May. C'étaient, je vous jure, deux grands polissons que ce Saül et David, et il faut avouer que leur histoire et celle des voleurs de grand chemin se ressemblent parfaitement. Mtre Omer est tout à fait digne de ces temps là. Quoi qu'il en soit, je déshérite mon neveu le conseiller au parlement, s'il n'instrumente pas pour moi dans cette affaire, en cas qu'il faille instrumenter.

Je lui donne tous pouvoirs par les présentes; et mes anges sont toujours le premier tribunal auquel je m'adresse.

Je vous supplie donc d'envoyer chercher aux plaids mon gros neveu, et de l'assurer de ma malédiction s'il ne se démène pas dans cette affaire.

De plus, j'envoie à frère d'Amilaville, un petit avertissement pour mettre dans les papiers publics, conçu en ces termes:

'Ayant appris qu'on débite à Paris sous mon nom, et sous le titre de Genêve, je ne sais quelle farce, intitulée Saül et David, je suis obligé de déclarer, que l'éditeur calomnieux de cette farce abuse de mon nom, qu'on ne connaît point à Genêve cette rhapsodie, qu'un tel abus n'y serait pas toléré, et qu'il n'y est pas permis de tromper ainsi le public.'

Nul ange n'a jamais eu depuis le démon de Socrate, un si importun client; tantôt tragédies, tantôt farces, tantôt Omer, je ne finis point, je mets la patience de mes anges à l'épreuve. Si l'affaire est sérieuse, je les supplie d'envoyer chercher mon gros cochon de neveu, sinon mes anges jetteront au feu la lettre qui est pour lui: en tout cas, je crois qu'il sera bon que frère d'Amilaville fasse mettre dans les papiers publics, le petit avertissement daté de la sainte ville de Genêve. Il faut être bien méchant pour avoir mis mon nom là. Mes méchancetés à moi, se terminent au pauvre diable, au Russe à Paris, aux Pompignades, aux Bertiades, à l'Ecossaise; mais aller au criminel! ah fi!

Respect et tendresse au bout de vos ailes.

V.

Et mr le duc de Praslin a-t-il gagné son procès pour la gazette littéraire?