26 mars 1773, à Ferney
Vous me faites aimer la vie, monsieur, par l’intérêt que vous daignez prendre à mes maux.
Je n’ai plus de fièvre, mais je n’ai point de convalescence. L’insomnie s’est jointe à toutes mes souffrances, depuis plus de deux mois. J’attribue cette insomnie à la goutte qui se promène tantôt sur mes pieds, tantôt sur mes genoux, tantôt sur mes mains, et qui se trouve partout si mal logée qu’elle n’y reste pas longtemps. Il faut souffrir tout cela avec patience et bien remercier la nature de ne m’avoir envoyé ni gravelle, ni pierre, ni apoplexie, ny dyssentrie, ni gangrène. Elle a un peu endurci mes oreilles, mais elle n’a pas endurci mon cœur. Il est si sensible à vos bontés que, s’il peut avoir deux ou trois jours d’une santé tolérable, il viendra vous remercier chez vous. Il est bien juste que les clients aillent faire leur cour chez leurs patrons.
Madame Denis doit remercier votre fils: je le félicite d’avoir un tel père et ne vous félicite pas moins. Jouissez longtemps de votre bonheur et de votre réputation, et agréez les sentiments de tendre attachement et d’extrême reconnaissance avec les quels j’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble, &c.
Voltaire