1764-11-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

A l'un de mes anges, ou aux deux ensemble.

Les lettres se croisent, et le fil s'embrouille. La lettre du 21 9bre m'apprend ou qu'on n'avait pas encore reçu les lettres patentes de melles Doligni, et Luzi ou qu'elles ont été perdues avec un paquet adressé, autant qu'on peut s'en souvenir, à m. de Courteilles. Tous mes paquets ont été envoyés depuis un mois à cette adresse, excepté un ou deux à l'abbé Arnaud ou à Marin. Il serait triste qu'il y eût un paquet d'égaré. Dans ce doute, voici de nouvelles patentes.

Je vous avais mandé que M. de Richelieu m'avait donné toute liberté sur la distribution de ces bénéfices. Si m. de Richelieu change d'avis je n'en changerai point; je crois son goût pour madelle D'Epinai passé, et j'imagine que sa fureur de vous contrecarrer sur les affaires du tripot, est aussi fort diminuée.

Je vous supplie, mes divins anges, d'assurer m. Marin de ma très vive reconnaissance. Je voudrais bien pouvoir la lui marquer, et vous me feriez grand plaisir de me dire comment je pourrais m'y prendre.

Il est très vrai que j'avais fait une balourdise énorme en ajoutant à la réponse fait à m. de Foncemagne en 1750 les noms du cardinal Alberoni, et du maréchal de Belleisle; je fis cette sottise en corrigeant l'épreuve à la hâte. On est bien heureux d'avoir des anges gardiens qui réparent si bien de pareilles fautes. Mais je jure encore par les ailes de mes anges que j'ai retrouvé parmi mes paperasses cette lettre de 1750 écrite de la main du clerc qui griffonnait alors mes pensées; je ne trompe jamais mes anges.

On m'a mandé qu'un honnête homme qui a approfondi la matière du testament, et qui ne laisse rien échapper a porté une sentence d'arbitre entre m. de Foncemagne et moi. On la dit sage, polie, instructive, et très bien motivée.

Il paraît tous les mois sous mon nom en Angleterre ou en Hollande quelques livres édifiants. Ce n'est pas ma faute, je ne dois m'en prendre qu'à ma réputation de bon chrétien et mettre tout aux pieds du crucifix.

J'ai bien peur que me Omer ne veuille me procurer la couronne du martyre. Ces Omer sont très capables de joindre au portatif, la tragédie sainte de Saül et David que le scélérat de Besogne, libraire de Rouën, a imprimée sous mon nom; messieurs pourraient bien me décréter; et quoique je ne fasse cas que des décrets éternels de la providence, cette aventure serait aussi embarrassante que désagréable. Je connais toute la mauvaise volonté des Omer; je n'ai jamais été content d'aucun Fleury, pas même du cardinal, pas même du confesseur du roi auteur de l'histoire ecclésiastique; je ne conçois pas comment il a pu faire de si excellents discours, et une histoire si puérile.

Au reste, je ne me porte pas assez bien pour me fâcher, et mes yeux sont dans un trop triste état pour que je revoie les roués. Je me sers d'une drogue qui me rendra ou qui m'ôtera la vue tout à fait; je n'aime pas les partis mitoyens.

Mes chers anges conservez moi vos célestes bontés. Toute ma famille se prosterne à l'ombre de vos ailes.

On nous parle aussi d'une petite assignation de notre curé: la robe de tous côtés me persécute; mais je ne m'épouvante de rien. Je trouve que plus on est vieux plus on doit être hardi. Je suis du sentiment du vieux Renaud qui disait qu'il n'appartenait qu'aux gens de 80 ans de conspirer.