17 juillet 1767
Mon cher ami, je reçois votre lettre du 8 juillet.
J'attends tous les jours l'édition des Scithes faite à Lyon pour vous l'envoyer. C'est la seule à laquelle on doive se tenir. Elle est faite entièrement selon les vues de m. d'Argental. On a fait tout ce qu'on a pu pour profiter de ses observations judicieuses. Il est vrai que le rôle que vous voulez bien jouer dans cette pièce ne convient pas tout à fait à vos grands talents, et n'a pas ce sublime et cette terreur que vous savez si bien mettre sur la scène. Athamare est un très jeune homme amoureux, vif, pétulant dans sa tendresse; un jeune petit cheval échappé et puis c'est tout. Il est fait pour un petit blondin nouvellement entré au service. Mais vous savez vous plier à toute sorte de caractère.
Si vous jouez le droit du seigneur, comme je l'espère, je donne le rôle d'Acante à melle Doligni, celui de Colette à melle Luzi, celui du fermier Mathurin à m. Montfoulon; ce sont les dispositions que m. Dargental a faites lui même.
A l'égard d'Olympie, je suis persuadé que cette pièce remise au théâtre vous vaudra quelque argent, mais il est absolument nécessaire de la jouer comme je l'ai faite, et non pas comme melle Clairon l'a défigurée; elle a cru devoir sacrifier la pièce à son rôle, supprimer et changer des vers, dont la suppression ou le changement ne forment aucun sens. On a surtout dépouillé le 5e acte de ce qui en faisait toute la terreur et l'intérêt. Une actrice assez bonne qui a joué Olympie à Genève, ayant restitué tous les endroits supprimés ou altérés par melle Clairon a eu un succès si prodigieux que la pièce a été jouée six jours de suite.
Si vous jouez l'Orphelin de la Chine, je vous prie très instamment de la donner aussi telle qu'elle est imprimée dans l'édition des Cramer. Vous devez avoir cette édition, et si vous ne l'avez pas elle est chez Mr Dargental.
Voici encore un petit mot pour l'Ecossaise que je vous prie de donner à l'assemblée. Nous allons ce soir jouer l'Orphelin de la Chine. M. de Chabanon et m. de Laharpe travaillent pour vous de toutes leurs forces. J'aurai du moins le plaisir de voir mes amis soutenir le théâtre auquel mon grand âge, mes maladies et peut-être encore plus mes ennemis me forcent de renoncer. Je vous embrasse de tout mon cœur.
V.