1733-04-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ay donc achevé Adelaïde; je refais Eriphile et j'assemble des matériaux, pour ma grande histoire du siècle de Louis 14.
Pendant tout ce temps mon cher amy, que je m'épuise, que je me tue pour amuser ma foutue patrie, je suis entouré d'ennemis, de persécutions et de malheurs. Ce temple du goust a soulevé tous ceux que je n'ay pas assez louez à leur gré, et encor plus ceux que je n'ay point louez du tout; on m'a critiqué, on s'est déchaîné contre moy, on a tout envenimé. Joignez à cela le crime d'avoir fait imprimer cette bagatelle sans une permission scéllée avec de la cire jaune, et la colère du ministère contre cet attentat, ajoutez y les criailleries de la cour, et la menace d'une lettre de cachet; vous n'aurez avec cela qu'une faible idée de la douceur de mon état et de la protection qu'on donne aux belles lettres. Je suis donc dans la nécessité de rebâtir un second temple, et in triduo reedificavi illud. J'ay tâché dans ce second ædifice d'ôter tout ce qui pouvoit servir de prétexte à la fureur des sots, et à la malignité des mauvais plaisants, et d'embellir le tout par de nouvaux vers sur Lucrece, sur Corneille, Racine, Moliere, Despreaux, la Fontaine, Quinaut, gens qui méritent bien assurêment que l'on ne parle pas d'eux en simple prose. J'y ay joint de nouvelles notes qui seront plus instructives que les premières et qui serviront de preuve au texte. Mr votre frère qui me tient icy lieu de vous et qui devient de jour en jour homme de lettres vous enverra le tout bien conditionné et vous pourez en régaler si vous voulez quelque libraire. Je croi que l'ouvrage sera utile à la longue et poura mettre les étrangers au fait des bons auteurs. Jusqu'à présent il n'y a personne qui ait pris la peine de les avertir que Voiture est un petit esprit, et st Evremont un homme bien médiocre, etc.

Cependant les lettres en question peuvent paroître à Londres. Je vous fais tenir la lettre sur les académies qui est la dernière. J'aurois ajouté de nouvelles lettres, mais je n'ay qu'une tête, encor est elle petite et foible; et je ne peux faire en vérité tant de choses à la fois. Il ne convient pas que cet ouvrage paroisse donné par moy. Ce sont des lettres familières que je vous ay écrites, et que vous faites imprimer. Par conséquent c'est à vous seul à mettre à la tête un avertissement qui instruise le public, que mon amy Tiriot à qui j'ay écrit ces guenilles vers l'an 1728 les fait imprimer en 1733, et qu'il m'aime de tout son cœur.

Tell my friend Fakener he should write me a word when he has sent his fleet to Turki. Make much of all who are so kind as to remember me. Get some money with my poor works, love me, and come back very soon after the publication of em. But Salé will go over to you. At least come back with her. Farewell my dearest friend.