1757-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je respecte fort les nouvelles d'Oulin mon cher correspondant, mais si le prince Charles avait battu les prussiens le 20 juin pourquoy m'écrit on le 24 de Vienne qu'on est très affligé que le prince Charles soit sorti de Prague si tard, et si inutilement, qu'il n'ait sçu que par hazard le décampement du mal Keit, qu'il n'ait pu atteindre que quinze chariots de vivandiers? pourquoy dit on que l'armée du marquis de Brandebourg et du maréchal Keit se sont rejointes? qu'elles étaient au beau milieu de la Boheme le 22? et qu'on craignait baucoup une seconde bataille?
Attendons toujours le boiteux.

Il y a des gens qui pensent que l'affaire du 18 est très peu de chose, que les prussiens après avoir attaqué huit fois se sont retirez en très bon ordre, qu'ils n'ont pas perdu un gros canon, que les prétendus étendarts menez à Vienne en triomphe sont des enseignes de compagnie, chaque compagnie ayant en effet la sienne. Les autrichiens sont si étonnez de s'être deffendus et d'avoir repoussé les prussiens qu'ils comptent ce premier avantage inouï parmy eux, pour une grande victoire. Ce n'est point avoir vaincu que de ne pas poursuivre vivement son ennemi, et ne le pas chasser des pays qu'il usurpe, c'est seulement n'avoir pas été battu. Le temps nous aprendra si le succez du Mal de Daune a les suittes qu'il doit avoir. Je ne croirai les autrichiens pleinement victorieux que quand ils rendront la Saxe à son maitre, et qu'on fera le procez au marquis de Brandebourg dans Berlin. Je ne doute pas qu'il ne soit condamné selon les loix de l'empire s'il est malheureux, et qu'on ne donne l'électorat à son frère. Je tremble cependant pour les vaissaux du marquis Roux: quelque chose qui arrive à ce marquis roux et à celuy de Brandenbourg, je songe à vous faire manger des péches à vous et à vos hoirs. Je vous fais cinq ou six petits murs de refend dans votre potager, mais aussi il faut que vous m'acordiez votre protection auprès du portier des chartreux dont vous devez être bien conu. J'ay besoin de cent pieds d'arbres du clos de ces bons pères. Voyez je vous prie comment il faut s'y prendre. Il fera beau qu'un huguenot mange les fruits des moines. Il est fort aisé je crois de trouver de la protection auprès du Révérend père procureur ou du révérend père jardinier de Paris le quel pour mon argent m'acordera quatrevingt péchez de plus d'une espèce et quelques autres arbres. Je joins icy le mémoire dont copie peut être présentée au chapitre de Paris.

Madame Denis remercie monsieur Camp de la bonté qu'il a de se charger de ses petites emplettes, et moy monsieur je dois vous remercier tous les ordinaires. Quand vous jugerez à propos de prendre pr moy des annuitez, à votre loisir et dans le temps le plus convenable à un virement de parties, vous obligerez toujours v. t. h. et ob. st

V.

A l'égard des arbres fruitiers, les chartreux auront le temps de les préparer pour la fin de l'automne et je veux encor espérer d'en manger quelques fruits avec vous.