1754-04-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à [unknown].

Monsieur,

L'histoire du Père et du fils est fort tragique et fort anglaise, mais elle est bien peu vraisemblable.
Il n'est guères naturel qu'un père ait demandé la mort de son fils, dans la seule crainte que cet enfant ne révélât le sécrêt. Il est encor moins croiable que les anglais qui devaient éspérer de tirer la vérité de la bouche d'un enfant de douze ans, aient tué ce même enfant dont ils éspéraient de tirer toutes les lumières qu'ils demandaient. Ne vous imaginez pas d'ailleurs que les anglais massacrent les petits enfants comme Herode. Vous sentez de plus que puis qu'il s'agissait de découvrir la [retr]aite d'un officier principal, il y avait là quelque [offi]cier anglais et assurément aucun d'eux n'est capable d'ordonner cette action d'antropophage. Cela est b[on pour] les Iroquois où à Francfort sur le Mein. Les [?officiers] anglais, monsieur, ont presque vôtre bravoure [et vôtre] humanité quoi qu'ils n'aient pas vos agrémens.

Soiez bien persuadé, monsieur, que je n'oublierai jamais les moments agréables que j'ai eu l'honneur de passer avec vous dans la compagnie d'un homme qui doit être à jamais regretté. Il-y-a quelques années que j'ai écrit l'histoire de la dernière guerre. Je n'y ai pas oublié vos deux belles jouës, non plus que vôtre aparition dans Berg-op-zoom. Ces faits là sont plus dignes de l'histoire que le conte de vôtre vieillard qui a bien l'air d'être un Roman. Monsieur de Sulivan qui m'a dicté un journal de tout ce qui s'est passé après la bataille de Culloden ne m'a jamais parlé de cette avanture. Il est vrai qu'elle est touchante mais le plus grand plaisir qu'elle m'ait fait est celui de m'avoir procuré l'honneur de vôtre lettre et de me donner une occasion de vous assurer de mes sentiments respectueux pour vous et de la sensibil[ité] que je conserverai toute [?ma vie pour ce qui] vous regarde.

J'ai l'honneur avec le [… … …]

Mons[ieur]

Vôtre très-humble et très-obéïssant serviteur

Voltaire