à Ferney 28e avril 1773
J’avais eu l’honneur, Monsieur, de connaître particulièrement Monsieur de Lally, et de travailler avec lui sous les yeux de Monsieur le Maréchal de Richelieu à une entreprise dans laquelle il déploiait tout son zèle pour le Roi et pour la France.
Je lus avec attention tous les mémoires qui parurent au temps de sa malheureuse catastrophe. Son innocence me parut démontrée. On ne pouvait lui reprocher que son humeur aigrie par tous les contre temps qu’on lui fit essuier. Il fut persécuté par plusieurs membres de la compagnie des Indes, et sacrifié par le parlement.
Ces deux compagnies ne subsistent plus. Ainsi le temps parait favorable. Mais il me parait absolument nécessaire de ne faire aucune démarche sans l’aveu, et sans la protection de M. le chancelier.
Peut-être ne vous sera t-il pas difficile, Monsieur, de produire des pièces qui éxigeront la révision du procez. Peut-être obtiendrez vous d’ailleurs la communication de la procédure. Une permission secrette au greffier criminel pourait suffire. Il me semble que Mr De st Priest, conseiller d’état, peut vous aider beaucoup dans cette affaire. Ce fut lui qui aiant éxaminé les papiers de Mr De Lally, et étant convaincu nonseulement de son innocence, mais de la réalité de ses services, lui conseilla de se remettre entre les mains de l’ancien parlement. Ainsi la cause de Mr De Lally est la sienne, aussi bien que la vôtre. Il doit se joindre à vous dans cette affaire si juste et si délicate.
Pour moi je m’offre à être vôtre secrétaire malgré mon âge de quatre-vingt ans et malgré les suittes très douloureuses d’une maladie qui m’a mis au bord du tombeau. Ce sera une consolation pour moi que mon dernier travail soit pour la deffense de la vérité.
Je ne sçais s’il est convenable de faire imprimer le manuscrit que vous m’avez envoié; je doute qu’il puisse servir, et je crains qu’il ne puisse nuire. Il ne faut dans une pareille affaire que des démonstrations fondées sur les procédures mêmes. Une réponse à un petit Libelle inconnu ne ferait aucune sensation dans Paris. De plus, on serait en droit de vous demander des preuves des discours que vous faittes tenir à un président du parlement, à un avocat général, au rapporteur, à des officiers; et si ces discours n’étaient pas avoués par ceux à qui vous les attribuez, on vous ferait les mêmes reproches que vous faittes à l’auteur du Libelle. Cette observation me parait très essentielle.
D’ailleurs, ce Libelle m’est absolument inconnu, et aucun de mes amis ne m’en a jamais parlé. Il serait bon, Monsieur, que vous eussiez la bonté de me l’envoier par Mr Marin qui voudrait bien s’en charger.
Souffrez que ma Lettre soit pour Madame la comtesse de Laheuze comme pour vous. Ma faiblesse et mes souffrances présentes ne me permettent pas d’entrer dans de grands détails. Je lui écris simplement pour L’assurer de l’intérêt que je prends à la mémoire de Mr De Lally. Je vous prie l’un et l’autre d’en être persuadez.
J’ai l’honneur d’être avec tous les sentimens que je vous dois, Monsieur, Vôtre très.