1773-06-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Claude Marin.

J’ai reçu, Monsieur, en dernier lieu la moitié d’un imprimé, peut être le reste viendra aujourd’hui.
Je me flatte aussi que Mr de Tolendal répondra à mes questions.

J’ignore quelle espèce de grâce le roi lui a faitte; mais je vois que je m’étais trompé en le prenant pour un neveu et pour un héritier, celà change prodigieusement l’espèce de travail auquel on m’avait engagé. Il ne faut tromper ni son avocat ni son confesseur. Mr De Tolendal n’est nullement en droit de demander la révision du procez, et quand il serait fils unique légitime, il ne l’obtiendrait pas. La famille De Thou n’a jamais pu obtenir dans les temps les plus favorables la révision du procez criminel d’Auguste de Thou à qui le cardinal de Richelieu avait si injustement fait couper la tête

Mr De Tolendal me répond sur la noblesse des Lalli, qu’ils avaient un château en Irlande dès le septième siècle; en ce cas, sa maison est beaucoup plus ancienne que celle du Roi. Mr Le vicomte de Fumel, reconnu pour être véritablement d’une des plus anciennes maisons de L’Europe, dit que feu Lalliétait absolument sans naissance comme sans vertu. Je ne décide point entre des assertions si contraires, mais j’ai demandé s’il est vrai que l’avocat d’Antremont, après la mort de Lalli ait dénoncé quinze cent mille francs déposés chez lui par cet officier. On ne me répond point sur cet article important. Je sais que Lalli était né sans aucun bien, et que s’il a laissé plusieurs dépôts pareils ce n’est pas une preuve bien convainquante de son innocence.

Il y a parmi ses accusateurs plusieurs gens de qualité, beaucoup d’hommes de considération et quelques uns qui ont encor du crédit; celà ne m’empêchera pas de travailler; je serai vrai et sage, du moins je l’espère. Mais encor une fois, si on ne me satisfait pas sur les quinze cent mille francs cette histoire sommaire des révolutions de L’Inde et de la compagnie, ne fera pas grand bien à la mémoire de Lalli.

Tout cecy entre nous, s’il vous plait.

On dit le grand visir complettement battu. Vous devez en savoir des nouvelles.

Pouriez vous me dire, mon cher correspondant, quel est le premier commis de M: le Duc D’Aiguillon, chargé des dépêches pour Genes? J’ai besoin d’une petite protection dans ce païs là contre un négociant marquis, lequel fait banqueroute en marquis à des artistes de ma colonie. Je ne veux point importuner M: le Duc D’Aiguillon de cette affaire, un commis me suffit contre un marquis.

Mille tendres amitiés.

Voudriez vous bien avoir la bonté de faire passer cette lettre à Mr d’Alembert?