22e juin 1766
Mon âme est entièrement réformée à la suite de mes anges; je pense entièrement comme eux.
Il faut donner la préférence à l'impression sur la représentation; le temps ne fait rien à l'affaire et si l'ouvrage est passable, il sera donné toujours assez tôt. Je remercie mes anges de leurs nouvelles critiques; j'en ai fait aussi de mon côté et j'en ferai, et je corrigerai jusqu'à ce que la force de la diction puisse faire passer l'atrocité du sujet. On peut encore ajouter aux notes que vous avez jugées assez curieuses. Il n'est pas difficile de donner aux proscriptions hébraïques un tour qui désarme la censure théologique. Ce n'est point la vérité qui nous perd, c'est la manière de la dire. Ne vous lassez point de me renvoyer ces manuscrits qui sont si fort accoutumés à voyager.
Je voudrais bien savoir si mr le duc de Praslin et mr de Chauvelin ont été contents. Il est clair que vos suffrages et les leur donnés sans enthousiasme et sans séduction après une lecture attentive, doivent répondre de l'approbation du public éclairé. On est bien loin de compter sur un succès pareil à celui du siège de Calais ni sur celui qu'aura la comédie de Henri 4. Il suffit qu'un ouvrage bien conduit et bien écrit ait un petit nombre d'approbateurs; le petit nombre est toujours celui des élus.
Nous sommes bien heureux mes anges d'avoir des philosophes qui n'ont pas la prudente lâcheté de Fontenelle. Il paraît un livre intitulé Examen critique des apologistes &c. par Freret. Je ne suis pas bien sûr que Freret en soit l'auteur; mais je suis sûr que c'est le meilleur livre qu'on ait encore écrit sur ces matières. Les provinces sont garnies de cet ouvrage; vous n'êtes pas si heureux à Paris. Il arrivera bientôt que les provinces prendront leur revanche du mépris que les parisiens avaient pour elles. Comme on y a moins de dissipation, on y a plus de temps pour lire et pour s'éclairer. Je ne désespère pas que dans dix ans la tolérance ne soit établie à Toulouse. En attendant que le règne de la vérité advienne je voudrais bien que vous lussiez le mémoire de Beaumont en faveur des Sirven, et que vous voulussiez bien m'en dire votre avis. Ma destinée est de n'être pas content des arrêts des parlements. J'ose ne point l'être de celui qui a condamné Lally; l'énoncé de l'arrêt est vague et ne signifie rien. Les factums pour et contre ne sont que des injures. Enfin je ne m'accoutume point à voir des arrêts de mort qui ne sont pas motivés. Il y a dans cette jurisprudence welche une barbarie arbitraire qui insulte au genre humain.
Cettre lettre n'est pas écrite par mon griffonneur ordinaire, et je suis si malingre que je ne puis écrire moi-même. Tout ce que je puis faire c'est de me mettre au bout de vos ailes avec mes sentiments ordinaires qui sont bien respectueux et bien tendres.
V.