[c. 15 June 1766]
. . . théologiques, mais je ne suis point du tout de l'avis de Fontenelle, qui aprés avoir mutilé en douceur le savant traitté des oracles de Vandales, disait que s'il avait la main pleine de vérités, il n'en lâcherait aucune.
Il faut les lâcher et retirer promptement la main. Si tous les philosophes avaient suivi la maxime lâche de Fontenelle où en serions nous? Nous gémirions sous le joug du fanatisme le plus horrible. Les temps sont bien changés; la lumiére luit de toutes parts. J'ai reçu des Lettres de plusieurs magistrats de provinces qui pensent hautement. Il n'y a point d'année où le monstre de la superstition et du faux zèle ne reçoive quelque blessure profonde; mais en rendant ce service au genre humain, il y aurait de la folie à être le martire de la vérité. Helvétius et Rousseau ont fait une grande faute de mettre leur nom à leurs ouvrages. Je sais bien que si j'en faisais de pareils je n'aurais pas la vanité de me faire connaître. Le vicaire savoiard est un éxcellent morceau dans un fort mauvais livre, mais plus ce morceau est délicieux, moins l'auteur le devait avouer. Que peut on faire à un homme qui nie et qu'on ne peut convaincre?
Le troisiéme point regarde ces fous de genevois. Il y a quelque apparence que la chose finira comme je le souhaitte, et comme je vous l'ai dit. La noise a commencé par le ridicule, elle se terminera aux dépends de tous les partis. La fable du cerf qui voulut se venger du cheval est une très bonne fable; Esope avait grande raison.
Aureste, j'ai tiré mon épingle du jeu, ce jeu ne vaut rien du tout.
Je suis si fort en train de vous ennuier qu'il faut que je vous dise encor que j'ai lû les mémoires pour et contre ce fougueux et absurde L'Ally. Je suis tout confondu de ne pas trouver le moindre corps de délit dans tout celà. Je serais bien curieux de savoir sur quelle preuve on l'a condamné. Vous autres Welches vous ne motivés jamais vos arrêts; vous êtes, Dieu merci, les seuls en Europe qui rendiez si cavalièrement la justice.
Respect et tendresse, et toujours au bout de vos ailes.
NB: J'ai toujours oublié de vous parler de Mr De Chauvelin; mon cœur vaut mieux que ma mémoire. Je lui suis véritablement attaché, et je vous suplie de me protèger bienfort auprès de lui. Il faudrait absolument qu'il lût la piéce; elle est faitte pour des ministres et pour des ambassadeurs, mais elle est bien peu faitte pour les belles Dames.