1766-06-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Mon cher conseiller, vous avez raporté l'affaire de Lally comme un conseiller de grand chambre.
Les billets des officiers escomptés à 60 pour cent de perte sont surtout un corps de délit qui me fait de la peine pour un général Irlandais. Je le crois fort légitimement décolé, mais je vous avoue que j'aurais voulu qu'on eût dit un petit mot de raisons dans l'arrêt. Il y a beaucoup d'officiers étrangers en France qui ont trouvé fort mauvais qu'on ait conduit un de leurs camarades en place de Grêve, sans spécifier précisément pourquoi.

Je suis très fâché que le révérend père gardien, n'ait pas été expédié par ses chers confrères, et qu'il se soit dépéché lui même pour aller aux Limbes; mais je suis étonné qu'on ne se soit pas donné le petit plaisir de traîner un capucin sur la claye. C'est vôtre méthode avec les pauvres Laïques, vous respectez trop les enfans de st François pour les assujettir à cette cérémonie. Il est vrai que les Loix romaines n'ont jamais condamné personne pour avoir renoncé à la vie. Elles ordonnent aucontraire que les testaments de ceux qui se sont tués eux mêmes soient valables. Mais les coutumes Welches valent bien mieux que les loix de Rome.

Je suis très touché du sort des Polyeuctes et des Néarques que les Welches brûlent; il me semble que les petites maisons étaient le vrai partage de ces messieurs, et quant à l'homme qui s'est mis au cou un ruban, je lui aurais conseillé de le serrer pour faire une amande honorable plus complette.

Je vous demande en grâce, mon cher conseiller, de vouloir bien satisfaire mon extrème curiosité sur cette avanture. Priez vôtre mère d'engager son mari à m'envoier le détail le plus circonstancié. J'ai peur qu'on ne dise que ces gens là étaient des enciclopédistes.

Vous verrez bientôt le factum d'Elie de Beaumont en faveur des Sirven; je me flatte que ce sera un três bon ouvrage. Si nous ne pouvons obtenir une justice pleine et entière pour les Sirven comme pour les Calas, on ne voudra peut être pas donner deux fois de tels éxemples, mais les Sirven gagneront Sûrement leur cause au tribunal du public. On Soulèvera L'Europe en leur faveur, et c'est une assez belle victoire.

Adieu, je vous aime de tout mon cœur; vôtre tante en fait autant.

V.