1766-07-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Mes divins anges, quoique les belles lettres soient un peu honnies, que le théâtre soit désert, que les hommes n'aient plus de voix, que les femmes ne sachent plus attendrir, quoiqu'il faille enfin renoncer au monde, je ne renonce point aux roués, et je vous prie de me les renvoyer pour qu'ils reçoivent chez moi la confirmation de l'arrêt que vous avez porté sur eux.

Si vous faites la moindre difficulté de me faire tenir le paquet par la poste, je vous supplie de le faire mettre à la diligence de Lyon, à mon adresse à Meyrin près de Genêve, il arrivera à bon port s'il est vêtu de toile cirée.

Puis je vous demander s'il est vrai qu'on ait imprimé Barnevelt.

Avez vous vu mr de Chabanon? êtes vous content de son plan?

Je ne vous parle que de théâtre, et cependant j'ai le cœur navré. C'est que je n'aime point du tout les Felix qui font mourir inhumainement et dans des supplices recherchés les Polyeuctes et les Néarque. Je conviens que les Polyeuctes et les Néarques ont très grand tort, ce sont de grands extravagants; mais les Felix n'ont certainement pas raison. Il y a enfin des spectateurs qui n'aiment point du tout de pareilles pièces. Je me persuade que vous êtes de leur nombre, surtout après avoir lu l'excellent traité des délits et des peines. Il se passe des choses bien horribles dans ce monde, mais on en parle un moment, et puis on va souper.

Respect et tendresse.