4e 9bre 1767
Mon cher philosophe, car il faut toujours vous appeller de ce nom respectable que la cour ne respecte guères, le philosophe M. de Chabanon aura donc le bonheur de vous embrasser?
Vous léverez donc les épaules ensemble sur l'avilissement où l'on veut jetter les lettres, sur la conspiration contre la raison et contre la liberté, sur les sottises dont vous êtes environné, sur la barbarie où l'on va nous replonger si vous n'y mettez ordre.
Monsieur de Chabanon a un beau plan de tragédie et a fait un prémier acte qui annonce le succès des quatre autres. Mais pour qui travaille t-il? quels comédiens? et quels spectateurs? Le temps des beaux arts est passé, et la philosophie qui fesait l'honneur de ce siècle est persécutée. La Sorbonne est dans la boue, mais les gens de lettres sont sub gladio. L'approbateur de Bélizaire est toujours destitué. Rien ne marque plus le dessein formé d'empêcher la nation de penser. C'était tout ce qui luy restait. Batue par le prince de Brunsvik et par le markgrave de Brandenbourg, par les Anglais et par le roy de Maroc, sans argent, sans commerce et sans crédit, si elle ne se met pas à penser que deviendra t'elle? Votre cour de parlement fait conduire en place de Grève un lieutenant général avec baillon en bouche, sans daigner alléguer le moindre délit. On coupe la main, la langue et la tête a un jeune gentilhomme et on jette tout cela dans un grand feu, pour n'avoir pas salué des capucins et pour avoir chanté deux vieilles chansons, et les gens coupables de ces assassinats judiciaires sont honorez! Vraiment après cela il faut boucher les yeux, les oreilles et l'entendement d'une nation. Mais on n'y parviendra pas. Les hommes s'éclaireront malgré les tigres et les singes. Vous ne voulez pas être martir mais soyez confesseur. Vos paroles feront plus d'effet qu'un bûcher. Mon cher philosophe criez toujours comme un diable.
Je vous aime autant que je hais ces monstres.