11e Mars 1764 à Ferney
Il est bien étrange, mon cher et aimable philosophe, qu'on propose le rapel des protestans en France; car assurément on ne les en a pas chassés, aucontraire, on les retient malgré eux, et on confisque leur bien quand ils viennent déjeuner à Genêve ou à Lausanne.
Ce qu'on devrait proposer, ce me semble, ce serait des conditions raisonnables, moiennant lesquelles ils ne seraient plus tentés d'abandonner leur patrie. Mais on m'assure que dans le livre de Mr de la Morandiere, on avance qu'il ne doit pas être permis à deux familles de s'assembler pour prier Dieu. C'est conseiller la persécution sous le nom de Tolérance, mais il se peut qu'on m'ait trompé, je n'ai point vu le livre; tout ce que je sçais, c'est que les parlements brûlent à présent tous les livres qui leur déplaisent. On ne fera pas cet honneur à l'imitation théâtrale de ce pauvre Jean Jaques, car on ne la lira pas. J'ai peur que le bon homme ne devienne entièrement fou. Les dévots diront que c'est une punition divine.
Dès que j'aurai quelque chose qui puisse amuser made la Duchesse D'Anville, je ne manquerai pas de vous le faire tenir. Il n'y a que son extrème indulgence et la vôtre, qui puisse me faire prendre cette hardiesse.
Vous savez que l'auteur de l'apologie de la st Barthelemi est à Rome en personne, tandis qu'à Paris il est au carcan en peinture. Dieu le récompensera, il sera peut être cardinal.
Vraiment vous seriez un homme charmant de venir égaïer un pauvre malade. Made Denis a une passion violente pour vous. Vous connaissez les sentiments inviolables que je vous ai voués.
V.