à Ferney 31e 8bre 1766
Je voudrais, Monsieur, que la maison de Lausanne fût encor à moi, elle serait bientôt à vous.
Mais voicy ce qui m'arriva. Feu mr De Montrond en faisant son marché avec moi, me demanda combien j'avais encor de temps à vivre? Je me fis fort de vivre encor neuf ans. Celà parut exhorbitant, mais je n'en démordis point, et je fis mon marché pour neuf ans. Le contract [fu]t dressé sur ce pied là; les années sont révolues, je vis encor, et mr De Montrond est mort. La maison ne m'appartient plus. Si j'avais sçu que vous voulussiez un jour vous transplanter à Lausanne j'aurais pris le parti de vivre plus long-temps, et de faire un meilleur marché. Si vous étiez un vrai philosophe, si vous aimiez la retraitte, j'ai un petit hermitage auprès de Ferney que je vous cèderais de tout mon cœur, et qui ne vous coûterait rien, pas même de remerciements, car celà n'en mérite pas. Mais je vois que vous aimez le grand monde, et que la superbe ville de Lausanne est l'objet de vos plus tendres souhaits. Les miens sont de vous revoir. Je vais prévenir Mr D'Alembert de vôtre arrivée à Paris. Il vous connaîtra avant de vous avoir vu. Il vaut mieux prendre ce parti que de vous envoier une Lettre pour lui qui augmenterait le port considérablement.
Le procez de Jean Jaques contre Mr Hume est le [procès de] l'ingratitude contre la générosité. Jean Jaques es[t un] monstre. Savez vous bien que ce fou avai[t persuadé à ses] amis que je cabalais avec vous pour le faire [chasser de la] Suisse! C'est le plus détestable extravagant que j'ai[e] jamais connu. Cette dernière avanture achêve de le couvrir d'opprobre. Je ne crois pas qu'il puisse vivre en Angleterre; il faut qu'il aille chez vos Patagons hauts de neuf pieds, quoi qu'il n'en ait qu'environ quatre et demi il leur prouvera qu'il est plus grand qu'eux.
Adieu mon cher philosophe, je vous embrasse tendrement. Je serai enchanté de vous revoir.