aux Delices près de Genêve 16 avril 1755
Je n'ai que le temps, Madame, de vous envoyer cette lettre que je reçois de Mr de Prelaz: elle n'est pas fort claire; mais vous verrez que depuis qu'on a sçu que c'était pour une Comtesse de l'Empire qu'on demandait une maison, elle a augmenté de prix.
Vous ne manquerez pas d'habitation, Madame; tout sera à vendre dès que vous paraitrez. On m'a offert dix Terres à moi chétif pendant que j'étais à Prangin. Vous ne pouvez rien faire de plus sage que de venir choisir vous-même, et conclure votre marché avec les treize Cantons. J'espère que Monrion sera au moins en état de vous recevoir trèsmal à la fin de May. Vous y serez comme dans un Caravanserail; mais en écrivant huit jours à l'avance, vous ne manquerez de rien. Les auberges sont aussi mauvaises que chères; je ne vous les conseille ni à Lausanne, ni à Vevey. Si vous avez conclu votre marché à Vevey, si vous y avez un homme affidé qui vous y ait procuré une maison bien agréable où vous soyez à votre aise en arrivant, je n'ai plus rien à dire, et Monrion ne sera pas assez hardi pour demander la préférence. Mais si vous n'étes point engagée, si vous voulez tout voir par vous même, si vous voulez choisir et ne point risquer de faire un mauvais marché ne dédaignez point la cabanne de Monrion. Je suis toujours dans mes Délices; c'est un séjour moins indigne de vous; mais j'y suis entre les ouvriers et les maladies. Je bâtis et je plante sur le bord du tombeau. Je m'imagine que le bonheur de vous revoir, Madame, poura me ranimer: ce sera la consolation de mes derniers jours. Je n'avais compté que sur le bonheur de la retraite: mais je n'avais jamais osé me flatter que vous prendriez le même parti et que vous choisiriez le pays que j'habite. Je n'en regrette aucun; et vous embellirez la Suisse à mes yeux.
Mille tendres respects.
V.