1755-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Allamand.

Vous êtes donc aussi comme l'un de nous, et les tempéraments suisses se ressentent donc de l'humanité! mon cher monsieur puisque suos patimur manes.
J'ay chez moy actuellement votre confrère monsieur Bertrand de Berne. Je voudrais bien vous tenir. Mais j'espère que les pénates de Monrion seront plus heureux que ceux des Délices. On a imprimé je ne sçais comment ce petit compliment que j'avais fait à la liberté et au chapeau de Guillaume Tell en arrivant dans son pays. L'imprimeur s'est avisé de mettre ce rogaton en gros caractères, comme un billet d'enterrement. Cela ferait un trop gros paquet. Il ne faut pas ruiner l'église. La vôtre n'est déjà pas trop riche. Quel chien de métier vous faittes! et pourquoy avez vous pardessus le marché femme et enfans! pourquoy les gens qui pensent ne peuvent ils pas vivre ensemble? On va jouer Alzire chez moy. Je voudrais que vous fussiez son grand aumonier, et que vous ne vécussiez que pour la liberté et pour votre plaisir. Mais presque personne ne vit comme il voudrait.

Je vous embrasse philosofiquement.

V.